Connaissez-vous le Collectif des Laïques Végétariens (CLV) ?
Ce mouvement de citoyens engagés s'est formé pour promouvoir le végétarisme dans une société libérée des influences religieuses. Son slogan : "A bas la calotte, vive la carotte !"
A ceux qui mettent en doute le positionnement de son groupe, le président du CLV fait remarquer les souffrances des moutons lors de l'Aid el Kebir, les bœufs vidés de leur sang et vendus par les boucheries cacher, et les poissons que préparent rituellement les catholiques le Vendredi Saint. Comment une religion qui fait ouvertement consommer à ses fidèles "la chair et le sang" de l'Agneau de Dieu peut-elle prétendre à des fonds publics ?
Le CLV est souvent en conflit avec les autres associations laïques. Des échauffourées ont parfois lieu quand, lors des "banquets républicains", les militants découvrent des tranches de saucisson dans leur assiette. Et chaque 21 janvier, le CLV proteste contre la tête de veau que consomment certains laïques français pour célébrer la décapitation de Louis XVI, roi de droit divin.
Mais les militants sont optimistes sur le succès de leur cause. Le CLV est en effet souvent sollicité par la presse catholique quand elle a besoin d'un "point de vue laïque représentatif". Et le journal Le Figaro raffole des citations du CLV dénonçant la politique "cléricale et carnivore" du gouvernement français.
Pourtant, les pétitions et demandes de rendez-vous du CLV auprès des ministres et députés restent lettre morte. Est-ce un dictat du président Chirac, qui n'apprécierait pas que les militants le traitent régulièrement de meurtrier lors de sa visite du Salon de l'Agriculture ?
Bien sûr, le CLV n'existe pas à ma connaissance. Mais je suis assez dubitatif devant le positionnement, similaires dans le principe, des associations "laïques de droite" (MMLF) ou "laïques de gauche" (ça ne manque pas) qui tentent eux aussi, par tous les moyens, de lier le combat laïque avec des thèmes politiques qui n'ont pas grand chose à voir. Cela sent la récupération et c'est très probablement inefficace.
Oui, on peut lier laïcité et libéralisme, dans un sens ou dans l'autre, et en se faisant suffisamment de nœuds au cerveau. La laïcité est aussi bien une réponse à "
l'échec du capitalisme" (dixit
Comité Laïcité République) que "
la seule solution libérale" (dixit
Liberaux.org). On peut lier laïcité et confiture de fraises, aussi.
Le devise de l'Union des Familles Laïques (UFAL) est "
Lier le combat social et le combat laïque". Bien. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas y rajouter, je n'invente rien, la lutte contre la
publicité, contre les
OGM et pour la
sécurité sociale ? Il n'y manque plus que la couche d'ozone et on aura le summum d'un positionnement "laïque" clair et cohérent...
Mon but n'est pas de dénigrer les associations. Je vois l'utilité de groupes de laïques philatélistes, anarchistes, footballeurs ou bimétallistes en tant que 'laboratoires d'idées' ; c'est également un indice de l'attractivité d'une idée. Mais quand l'ambition est d'influencer largement le débat public, n'est-ce pas contre-productif ?
Je vois en effet mal l'opinion prendre au sérieux un dirigeant d'une grande association pour lequel laïcité et soutien actif d'un "bord politique" sont synonymes. Egalement, c'est une pure perte de temps pour un ministre que de recevoir ce monsieur, surtout si le bord en question n'est pas le sien.
Intuitivement, il me semble qu'une grande association laïque sera d'autant plus influente qu'elle se consacrera à la laïcité, et ne pourra être accusée d'arrière-pensées partisanes. C'est du moins l'opinion d'un gars qui n'est pas particulièrement militant, et qui connaît essentiellement de ce milieu ce qu'il en lit sur le net, comme tout un chacun.
Je m'explique.
Si une association nommée "Médecins Raëliens Sans Frontières" se crée, on se doutera qu'il y a anguille sous roche. Face à une organisation nommée "Secours Catholique", un laïque soupçonnera à juste titre que les actions humanitaires ont pour motivation majeure la promotion d'une idéologie religieuse. Eh bien, les mêmes soupçons d'arrière-pensée idéologique pèsent, même si les intéressés n'en sont pas conscients, sur une association mêlant intimement laïcité et militantisme politique. Et il est extrêmement facile de jouer là-dessus pour dénigrer l'action laïque.
Enfin, à l'inefficacité dans l'action légale et politique s'ajoute les difficultés de recrutement. Si un Français souhaite agir pour la laïcité sans entendre des vitupérations (ou des louanges mais c'est plus rare) sur l'économie mondiale, son choix est très limité. Inversement, pourquoi un militant politique s'investirait-il durablement dans un mouvement laïque alors qu'un parti politique représentera mieux toutes ses idées?
On pourrait croire que, tous les combats laïques ayant été gagnés, les associations ont besoin de débats sur le syndicalisme et le clonage pour remplir leurs journées. Ce n'est pas le cas. Quelles sont, objectivement, les avancées sur le terrain de la laïcité en France (pour prendre cet exemple) depuis un demi-siècle ? Je cherche des exemples et je tombe essentiellement, au lieu de victoires, sur des non-reculades. Interdiction du voile à l'école, la belle affaire : c'est un retour au
statu quo des années passées ; les religieux ont simplement tâté le terrain. Pendant ce temps, les curés d'Alsace-Lorraine touchent toujours leur chèque gouvernemental en fin de mois, et l'Etat rembourse toujours en partie les donateurs aux paroisses catholiques.
Pour être clair : laïcité, oui. Militantisme politique à tout crin, pourquoi pas, il y a des amateurs. Mais mélanger systématiquement les deux : non, c'est comme le rôti de veau et le chocolat praliné. Ce qui a fonctionné il y a cent ans n'est plus forcément efficace au 21ème siècle, car avec les moyens de communication modernes, deux messages mêlés s'affaiblissent mutuellement.
Et dans le "camp d'en face", quand le besoin s'en fait sentir, c'est l'Eglise Catholique qui fédère la machine de guerre rhétorique française anti-laïcité. Face à une quelconque affiche de cinéma, des organisations catholiques, la plupart du temps apolitiques, des évêques et autres porte-parole montent au créneau et expriment leur supposé "outrage". Même si leur cause est risible, nul ne met en doute leur légitimité et personne n'attribue des arrière-pensées politiques à leurs gesticulations. Leur objet est purement la "défense" de leur religion. C'est une force.
Y a-t-il moyen d'agir autrement ?
Aux Etats-Unis, les menaces sur la séparation des églises et de l'Etat sont infiniment plus vivaces, venant souvent du sommet du pouvoir, et très bien organisées. L'organisation de la réponse laïque est donc, par nécessité, focalisée et vise à l'efficacité.
Quand une menace apparaît, les associations les plus redoutées des adversaires de la laïcité sont :
- Americans United for Separation of Church and State (AU), qui se consacre exclusivement aux atteintes à la séparation des églises et de l'Etat. On chercherait en vain sur leur site la position officielle de AU sur le clonage ou la sécurité sociale.
- American Civil Liberties Union (ACLU), des activistes focalisés sur le Premier Amendement à la Constitution, qui inclut la liberté d'expression et la séparation des églises et de l'Etat. Vaste programme, ils ne chôment pas - et cette association, faut-il le préciser, n'a strictement aucune opinion officielle sur les OGM.
Récemment, ces organisations ont organisé une défense efficace pour remporter une victoire majeure sur l'enseignement de l'Intelligent Design, dernier avatar du néo-créationnisme. A mon avis, ils n'ont pas perdu de temps à discuter des méfaits ou bienfaits du capitalisme ; ils ont laissé cela à d'autres et ont gagné leur combat.
Ces organisations américaines sont craintes car elles sont efficaces. Elles sont aussi insoupçonnables d'esprit partisan : AU est actuellement dirigée par un pasteur et ACLU défend aussi la liberté d'expression de tous bords, même extrêmes. Cela n'empêche bien sûr pas les cléricaux locaux de les traiter de gauchistes, mais l'argument est faible car leur objet est parfaitement clair et leurs actions focalisées.
Inversement, pour revenir en Europe, lorsqu'un particulier proteste contre l'existence d'un crucifix dans un lieu public, il me semble qu'il se retrouve bien seul. Il n'a en tout cas pas avec lui l'arsenal, organisationnel, légal, médiatique et moral dont il pourrait disposer outre-atlantique.
(Et mes excuses aux végétariens. Ce soir, purée de carottes à la confiture de fraises...)