Va pour le mot dessein sans téléologie, aucune importance.
Miette Lubrique a écrit:
Ce dont j'ai besoin, c'est de spirale engendrée par un code à priori arbitraire, comme par exemple le paon royal, il est assez difficile de déterminer pourquoi les femelles apprécient les queues colorées (NON Dr Georges, te jette pas sur l'occaz, je te sens rabiner à plein pif !). C'est pour ça que je parlais de dessein imbécile (je sais bien qu'il n'y a pas de 'dessein' au sens téléologique du terme).
Oui... mais non, c'est quand même plus compliqué que cela. Le terme "imbécile" n'est pas bien adroit puisque cette queue n'a pas empêché le paon d'exister jusqu'à nos jours, depuis des millénaires. Ce n'est pas le seul oiseau à longue queue ni à plumage chatoyant. Les oiseaux peuvent se le permettre du moment qu'ils ont des réflexes très rapides et un psychisme très fin, ouïe et vue très aiguisées, et de plus
ils volent... Voler, mot magique : En un coup d'ailes le paon s'envole sur une branche malgré sa longue queue. Ou atterrit quelques centaines de mètres plus loin si nécessaire. Il est lourdingue, néanmoins son vol est puissant et il démarre au quart de tour. Il lui manque surtout de la résistance pour le vol soutenu.
Une sorte de compromis-équilibre est donc trouvé sélectivement, entre "plumage chatoyant et attirant (peut-être aussi signe de bonne santé générale) // queues trop handicapantes // vol au démarrage très rapide, utile pour échapper à un prédateur // x". De plus, le paon royal est avant tout un marcheur-coureur, très costaud, agressif, batailleur et plein de ressources contre ses éventuels ennemis - comme tous les grands faisans. Bref, il est "fonctionnel", ou du moins suffisamment pour avoir survécu (les trop extrêmes ayant disparu).
Si maintenant on ajoute le fait que les signaux visuels, de reconnaissance, rassemblement, sont récurrents chez les oiseaux grégaires, cette attirance des femelles pour les queues - lors de la parade - peut s'expliquer comme un comportement dérivé. Les parades nuptiales des oiseaux sont généralement une sorte de répétition schématisée, modifiée et quelque peu symbolique, de comportements et activités préexistantes, quotidiennes, chez les oiseaux. Leur origine évolutive serait donc un dérivatif
mimé de leurs propres
habitus quotidiens, transformés et modifiés pour des rituels et parades d'attirance-rivalité (la parade nuptiale des rapaces sont un mime acrobatique de scènes de chasse, celle ce certains canards plongeurs, des scènes de pêche et plongée, etc.)
Et en effet, on ne sait pas précisément pourquoi les femelles
"apprécient" les queues colorées (or les couleurs servent à communiquer, cela peut donc s'expliquer partiellement comme comportement dérivé dans un sens ou dans l'autre), mais c'est aussi notre cas : les enfants sont très attirés par les trucs ronds, colorés, très brillants, non ? De plus les mâles sont probablement eux aussi attirés par ces queues/couleurs, hormis que cette attirance est nuancée par la notion de rivalité. Il faut donc remplacer le terme "charme ou apprécier" par "attirance", avec différentes vectorielles selon le sexe et la situation.
Le fait est que cette sélection sexuelle justifiant la pérennité des queues des paons est fonctionnelle, bien que théorique, mais explique très bien la pérennité de ces espèces et de leur ornementation exubérante. La genèse de ces queues/couleurs/formes c'est autre chose, plus en amont, mais leur existence peut elle aussi se justifier par des compromis viables entre "couleurs + variations génétiques développant la longueur du plumage (il est très courant que mâle comme femelle aient de longues queues chez les oiseaux), élimination des extrêmes", etc. Du coup, si un mâle à jolie queue courte attirait déjà les femelles, l'apparition d'un mâle avec 3 fois plus de surface colorée, a dû les rendre folles d'amour.
Et si cela dépasse le raisonnable, il se fera bouffer avant les autres. La dynamique darwinienne est respectée.
Donc, "dessein
imbécile", boarf.
L'exemple de panda géant fourni par Lord Dralnar me semble plus opérationnel pour ce que tu cherches, car en effet c'est assez difficile de comprendre historiquement-évolutivement, comment il en est arrivé là : ne manger pratiquement que des pousses de bambou + quelques protéines animales (petites bestioles), alors que son système digestif n'est pas bien adapté à ce régime, loin de là. Et son "pouce" supplémentaire n'ajoute pas d'éclairage extraordinaire. Une modification relativement récente de l'environnement pourrait être plaidée : dans ce cas le panda géant serait dans ces régions où il n'y avait quasiment rien d'autre, et s'en est contenté bon gré mal gré. Et patata.
Citation:
Mais est-ce-que dans son cas (panda de Chine) il n'est pas victime de spécialisation inhérente à sa constitution ?
Oui et non. S'il ne disparaît pas à cause de son régime mais avant tout la chasse et destruction de son territoire, ses conditions de vie et moeurs ne l'aident pas vraiment à proliférer. Sa spécialisation est plutôt récente et peu "
accusée", si on peut dire : Le panda géant a avant tout une constitution d'ursidé, c'est un très proche cousin des "vrais ours", lui aussi donc à dentition de carnivore (*) généraliste, estomac de carnivore (*), mais qui comme les ours et pas mal d'autres carnivores (*) peut manger un peu de tout, végétaux et animaux, carcasses, etc. Or son régime quasi exclusivement composé de bambous, ne semble pas vraiment une spécialisation organique efficace du Panda : Non seulement il passe sa vie à bouffer mais en plus il chie son potage de bambous à 80 % non digéré. Malgré ses quelques modifications, on ne peut vraiment pas dire qu'il soit très bien adapté à son régime local. Il trouve peut-être les bambous très goûteux à force, mais c'est un gaspillage énergétique énorme. Si tu lis dans certains ouvrages que sa dentition et estomac sont parfaitement adaptés au broyage des plantes ou bambous, ferme le bouquin et observe plutôt sa dentition et schéma de son estomac.
S'il est souvent pris comme exemple didactique d'adaptation ou spécialisation, pour illustrer l'évolution des espèces, le Panda géant est aussi un excellent exemple de spécialisation "inachevée", "bricolée" si on peut me permettre ces mots utilitaires, qui ne signifient pas grand chose mais synonymes ici de l'idée que l'adaptation est
récente et peu efficace.
(") sens ici de taxon, carnivora, et non le sens qu'ils mangent de la viande.