Jean Peuplut a écrit:
Etre gitan est-il un déterminisme social tellement prononcé qu'on ne peut pas ou presque pas y échapper ? Si c'est véritablement le cas, car je n'en sais rien en terme de réalité, à quoi cela est-il rattaché ? Mode de vie, poids de l'éducation gitane, sens de la famille/tribu/grégaire, de la culture gitane ?
Bonne question. Tu ne me la poses pas directement, mais j'y réponds selon ma sensibilité - et si d'autres gens existent encore sur terre, z'ont qu'à faire pareil. Des raisons et réflexions que tu n'ignores pas.
Je dirais que "déterminismes sociaux" englobe tout ce qui peut diriger, orienter, limiter les opportunités d'une vie, que j'ai ici qualifiés de sévères dans le sens de "forte influence". C'est +/- pareil pour toute culture avec forte empreinte, qu'elle soit muslim, juive, bantou ou que sais-je, avec une sévérité différente. Comme tu le dis, il n'est pas de destinée irrémédiable - mais parfois des pressions cumulées, additives.
(X = une gitane de Séville qui veut être cambiste à New-York. Ok ? )
En comptant maman/papa/soeurs, frérots & Co qui veulent tellement que X fête Noël chez eux, que X fête le baptême de Z, que X fasse un beau mariage gitan (comme mémé), qui tentent de présenter C, B, M, P et Y (mecs du bled) afin que X trouve un fiancé du bled + toutes les autres traditions ou conneries, familiales/culturelles, sentimentales aussi (connais-tu un brésilien qui n'aime pas la musique brésilienne et qui ne rêve pas d'un jour ou l'autre revenir au pays ?) etc. etc. ben ça fait déjà une forte pression pour que X reste très liée au bled/famille/culture et n'ait même pas la possibilité d'aller étudier hors du pays. Même si elle en a les capacités et qu'elle rêve de bosser à la bourse de Wall Street.
Mais cela ne serait rien sans compter l'arme déterministe suprême:
le poids des préjugés qui pèsent sur X.
Gitans, roms, tziganes (et autres peuplades dites du voyage sous divers noms), sont probablement les plus marginalisés dans nos contrées, au quotidien, parfois stigmatisations et discriminations d'état, victimes des préjugés racistes ordinaires les plus épais, qui limitent bien évidemment les opportunités que la vie peut offrir à d'autres...
X veut-elle payer son loyer et partiellement son indépendance/études en bossant comme fille au pair ? Comme étudiante qui fait des ménages ? Dans un bar ? Comme caissière ? Si oui, elle a tout intérêt à cacher ses origines culturelles/ethniques vu l'idéation "voleuse" qui surgira comme une étincelle dans le mental de l'employeur. Hispanique + gitane à Manhattan ? On ne rigole plus là, déjà pour louer une chambre d'étudiant. Et après quelques déboires et refus en cascade, X peut rapidement être inspirée à retourner chez "les siens" - à Séville - pour y trouver refuge. Les communautés tziganes ne sont plus tant nomades mais socialement un refuge.
Citation:
Et vous ? Prendriez-vous une Rom comme fille au pair ?
Tentez l'expérience : choisissez une brochette de connaissances pas racistes pour un sou, demandez-leur s'ils seraient prêts à embaucher une baby-sitter ou auxiliaire de maison, ok ?
- De religion juive ?
"Aucun souci " répondront-t-ils, étonnés qu'on précise la religion de la dame...
- Une femme musulmane ?
"Aucun souci" répondra-t-il, "Elle vient de quel pays ?" sera peut-être ajouté.
- Une africaine ?
"Oui, aucun problème... Mais est-ce qu'elle parle français ?" etc. etc.
Je ne doute pas que des gens comme ça, qui ne se préoccupent pas de discriminer, abondent. Heureusement, le monde est plein d'honnêtes gens.
Mais précisez à ces mêmes gens que la candidate en question est une Romanichel, ou une Tzigane... Subitement, une bonne partie de ces gars pas racistes pour un sou font la grimace. Oh pas tous, mais une grimace incontrôlable, fille de préjugés tellement ancrés, tellement profonds, tellement épais :
"Euhhh...oui, enfin... bon, pas de problème mais ... je te recontacterai, d'accord ?"
Et vous ? Prendriez-vous une Rom comme fille au pair ?
Jean Peuplut a écrit:
D'ailleurs c'est quoi être gitan en fait ? A part ne pas manger ses morts, mais bon c'est une pratique peu/pas répandue en dehors chez les gadjo auss
Pour moi, est gitan celui qui se sent, se dit et/ou se reconnaît lui-même comme tel. Je ne vais pas plus loin que ça, déjà les
communautés ne sont pas reconnues en France (c'est fort bien !), et en Espagne où les
gitans sont reconnus comme
minorité, ils ne peuvent pas non plus être recensés puisque le terme gitan ne peut y apparaître (c'est fort bien aussi), vu les ordonnances contre les discriminations raciales de la Constitution. Bref, en fait est/n'est pas tzigane celui qui (ne) se considère (pas) ainsi de par son choix, ses origines familiales, affinités, sentiments ou autres liens.
Les gens de culture (ou origine familiale) tzigane sont parfois perçus difficilement "assimilables" ou non intégrables. C'est une erreur. Cette culture reste une valeur refuge, mais elle intègre facilement et tout autant peut être épousée, assimilée. Les
gitans dans le Sud de l'Espagne (ou ailleurs) sont et font partie de la culture nationale, sont intégratifs (*). Paco de Lucia a passé sa jeunesse parmi les
gitans d'Algeciras, puis sa vie entouré d'artistes de culture andalouse-gitane. Il ne se posait pas, ni lui ni ses comparses, la question s'il est gitan andalou ou pas. La question n'aurait même pas à être posée - ni à lui ni à quiconque issu de son même quartier.
(*) Une émission à la TV régionale de Grenade est spécifiquement dédiée à suivre fêtes, fiançailles, mariage d'une fille d'une famille de
gitans assez bourges de la région. Une sorte de "Meet with the Kardashians" locale, mais encore plus relou et débile - on se demande si les membres de cette famille sont attardés ou complètement cons. C'est l'effet "famille qui passe à la TV", que l'on constate aussi très facilement dans l'émission "Super nanny" sur TF1, où les pauvres parents semblent tous profondément idiots. Même les sitcoms TV familiaux américains n'arrivent pas à égaler le niveau de connerie atteint par les vraies familles normales filmées par/pour la téloche.