Où sont toutes ces "femmes dépravées" contre lesquelles mon pasteur me met en garde ?Par Jacob Brundle,
Vice-Président, Ligue de la Jeunesse Chrétienne de Clearburg
J'ai vécu à Clearburg toute ma vie, et j'ai assisté aux offices de l'Eglise Luthérienne du Christ Tout-Puissant depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. Je connais mon histoire biblique, parce que Papa et Maman on fait en sorte que je sois bien éduqué. A mon avis, je suis aussi croyant que peut l'être un lycéen de 17 ans. Pourtant, il y a une chose que je ne comprends pas : à peu près chaque semaine, le Pasteur Clayman se met à dénoncer les dangers des courtisanes et des filles perdues, et comment je ne devrais jamais permettre qu'elles me détournent de la voie de la sainteté. Mais pour autant que je sache, je n'ai jamais rencontré une seule de ces "femmes dépravées". Je commence à être vraiment curieux de savoir à quoi elles peuvent toutes ressembler.
Je ne dis pas que je veux frayer avec des femmes dépravées – loin de là. Tout ce que je dis, c'est que je ne serais pas contre le fait d'avoir une chance de découvrir où ces femmes dépravées se rassemblent. Jusqu'ici, les seuls indices que j'ai, c'est l'assurance du Pasteur Clayman qu'elles nous soumettent partout à la tentation. Il est vraiment très en verve avec ses descriptions des faces peinturlurées, des rictus aguicheurs, et de leur chair nue et parfumée ondulant sous les rythmes lancinants de la musique laïque. Mais ça ne ressemble à aucune des femmes de la ville, dans aucun des nombreux endroits où je suis allé enquêter.
Je connais plein de femmes, mais je ne crois pas qu'aucune d'entre elles soit "dépravée". Il y a Karen Marckell, qui travaille au magasin de liqueurs de son papa, par exemple. Elle porte une boucle de ceinture où il y a marqué "Une Pêche d'Enfer" et j'ai entendu des dames de la paroisse dire qu'il "fallait s'en méfier", mais à moi elle me semble une femme tout à fait saine. Surtout ses cheveux, c'est vraiment joli. Je le sais bien, puisque j'ai scruté chaque centimètre carré de son corps – parfois pendant plusieurs minutes d'affilée. Je l'imagine bien se contorsionner comme une courtisane, mais chaque fois que je lui parle, elle se contente de sourire et d'encaisser mon soda. Elle ne m'offre même pas de marijuana et elle ne fais jamais de mouvements provocateurs avec ses hanches, rien du tout.
A mon lycée, il y a des filles qui sont censées avoir "mauvaise réputation" mais chaque fois que j'essaye de les approcher, elles m'ignorent ou me traitent de "gros ballot". Voilà le nombre de fois où mon âme a été soumise à la tentation du péché : zéro.
Je suis allé en voiture à Kendall, à Prior Bluff, à Plovis, et même une fois carrément jusqu'à Mitchville – mais je n'ai pas réussi à trouver une seule femme dépravée dans aucun de ces endroits.
Le pasteur dit qu'il y en a tout plein dans la grande ville, et vous vous doutez bien que quand j'y suis allé pour la conférence nationale de la Ligue de la Jeunesse l'automne dernier, j'étais à l'affût tel le faucon recherchant sa proie. Mais la plupart des femmes que j'ai vues se contentaient d'être assises dans le bus en regardant en face d'elles, le visage sans expression. Je pense que la dernière chose qui les intéressaient, c'était de m'entraîner dans les allées sordides du vice et de l'hédonisme. Je veux dire, elles ne rencontraient même pas mon regard, en fait.
Peut-être que les femmes dépravées ne sont pas si mauvaises que ne le dit le Pasteur Clayman. Peut-être que si j'avais l'occasion de parler à l'une d'elles, je pourrais la convaincre de venir avec moi à l'office du dimanche et prier pour que Jésus entre en elle. Peut-être même qu'elle me laisserait lui tenir la main pendant que nous prions ensemble. C'est sûr, il y a un risque – je l'admets – mais je parie que je pourrais éviter qu'elle me convainque de faire une chose vraiment mauvaise.
Je parie que je pourrais résister à une femme dépravée, pas de problème, si seulement je pouvais en trouver une. Je m'imagine en train de résister à trois ou quatre d'entre elles à la fois. Le Seigneur Lui-même a commandé à Abraham de sacrifier son propre fils pour mettre sa foi à l'épreuve, et Abraham l'a presque fait avant que le Seigneur n'arrête son bras et lui dise qu'il a passé le test. Eh bien, si la foi d'Abraham était aussi forte que ça, le moins que le Bon Dieu puisse faire, ça serait de m'envoyer une femme dépravée pour voir comment je me comporterais lors d'une véritable épreuve de ma foi.
Juste deux femmes dépravées, allongées lascivement sur le capot d'une voiture de sport ou un truc comme ça, comme dans les magazines de bagnoles de mon cousin, ça serait plus que suffisant pour sentir que ma foi a été prouvée devant le Seigneur.
La dernière chose que je voudrais, ce serait de brûler dans les flammes de la perdition et de la rétribution pour l'éternité, comme le Pasteur Clayman le dit jusqu'à ce qu'il en devienne tout bleu, chaque dimanche depuis ma naissance. D'ailleurs, à propos de sermons longs et volubiles qui vous fixent chaque détail dans votre esprit, les agonies éternelles de l'Enfer sont probablement le seul sujet dont le Pasteur Clayman parle autant que de ces femmes dépravées qui sont censées guetter à chaque coin de rue, me forçant à les repousser jour et nuit, et attaquant continuellement mon âme avec leur flot incessant de tentations.
Ben, peut-être que c'est à ça que ressemble la vie du Pasteur Clayman, mais la mienne sûrement pas.
Traduit de The Onion.