Où sont toutes ces "femmes impudiques" contre lesquelles l’imam nous met en garde ?Par Karim Labidi,
Membre, Association Culturelle des Jeunes Musulmans
Hbira (Tunisie)
J'ai vécu à Hbira toute ma vie, et j'ai assisté aux prêches à la mosquée depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. Je connais le Coran, parce que Papa et Maman on fait en sorte que je sois bien éduqué. A mon avis, je suis aussi croyant que peut l'être un lycéen de 17 ans. Pourtant, il y a une chose que je ne comprends pas : à peu près chaque semaine, l'imam Omran dénonce les dangers des courtisanes et des filles perdues, et comment je ne devrais jamais permettre qu'elles me détournent de la voie de la sainteté. Mais pour autant que je puisse en juger, je n'ai jamais rencontré une seule de ces "femmes impudiques". Je commence à être vraiment curieux de savoir à quoi elles peuvent bien ressembler.
Je ne dis pas que je veux côtoyer des femmes impudiques – loin de là. Tout ce que je dis, c'est que je ne serais pas contre le fait d'avoir une chance de découvrir où ces femmes impudiques se trouvent. Jusqu'ici, les seuls indices que j'ai, c'est l'assurance de l'imam Omran qu'elles nous soumettent partout à la tentation. Il est vraiment très éloquent avec ses descriptions des faces peinturlurées, des rictus aguicheurs, et de leur chair nue et parfumée ondulant sous les rythmes lancinants de la musique occidentale. Mais ça ne ressemble à aucune des femmes de la ville, dans aucun des nombreux endroits où je suis allé enquêter.
Je connais plein de femmes, mais je ne crois pas qu'aucune d'entre elles soit "impudique". Il y a Fadia Damergi, qui travaille à l’épicerie de son papa, par exemple. Elle porte une boucle de ceinture où il y a marqué "Une Pêche d'Enfer" et j'ai entendu des dames pieuses dire qu'il "fallait s'en méfier", mais à moi elle me semble une femme tout à fait saine. Surtout ses cheveux, c'est vraiment joli. Je le sais bien, puisque j'ai scruté chaque centimètre carré de son corps – parfois pendant plusieurs minutes d'affilée. Je l'imagine souvent se contorsionner comme une courtisane, mais chaque fois que je lui parle, elle se contente de sourire et d'encaisser mon soda. Elle ne m'offre même pas de drogue et elle ne fait jamais de mouvements provocateurs avec ses hanches, rien du tout.
A mon lycée, il y a des filles qui sont censées avoir "mauvaise réputation" mais chaque fois que j'essaye de les approcher, elles m'ignorent ou me traitent de "gros ballot". Je vais vous dire le nombre de fois où mon âme a été soumise à la tentation du péché : zéro.
Je me suis rendu à Neffatia, à Menzel Hached, à Chorbane, et même une fois carrément jusqu'à Jem – mais je n'ai pas réussi à trouver une seule femme impudique dans aucun de ces endroits.
L'imam dit qu'il y en a tout plein à Monastir, et vous vous doutez bien que quand j'y suis allé pour la conférence nationale de l’Association Culturelle l'automne dernier, j'étais à l'affût tel le faucon recherchant sa proie. Mais la plupart des femmes que j'ai vues se contentaient d'être assises dans le bus en regardant en face d'elles, le visage sans expression. Je pense que la dernière chose qui les intéressaient, c'était de m'entraîner dans les allées sordides du vice et de l'hédonisme. Je veux dire, elles ne rencontraient même pas mon regard, en fait.
Peut-être que les femmes impudiques ne sont pas si mauvaises que ne le dit l'imam Omran. Peut-être que si j'avais l'occasion de parler à l'une d'elles, je pourrais la convaincre de venir avec moi à la Salât du vendredi et prier pour qu’Allah entre en elle. Peut-être même qu'elle me laisserait lui tenir la main pendant que nous y allons ensemble. C'est sûr, il y a un risque – je l'admets – mais je parie que je pourrais éviter qu'elle me convainque de faire une chose vraiment mauvaise.
Je parie que je pourrais résister à une femme impudique, pas de problème, si seulement je pouvais en trouver une. Je m'imagine en train de résister à trois ou quatre d'entre elles à la fois. Allah Lui-même a commandé à Abraham de sacrifier son propre fils pour mettre sa foi à l'épreuve, et Abraham l'a presque fait avant qu’Allah n'arrête son bras et lui dise qu'il a passé le test. Eh bien, si la foi d'Abraham était aussi forte que ça, le moins qu’Allah puisse faire, ça serait de m'envoyer une femme impudique pour voir comment je me comporterais lors d'une véritable épreuve de ma foi.
Juste deux femmes impudiques, allongées lascivement sur le capot d'une voiture de sport ou un truc comme ça, comme dans les magazines de bagnoles de mon cousin, ça serait plus que suffisant pour sentir que ma foi a été prouvée devant Allah.
La dernière chose que je voudrais, ce serait de brûler dans les flammes de la perdition et de la rétribution pour l'éternité, comme l'imam Omran le dit jusqu'à ce qu'il en devienne tout rouge, chaque vendredi depuis ma naissance. D'ailleurs, à propos de prêches longs et volubiles qui vous fixent chaque détail dans votre esprit, les agonies éternelles de l'Enfer sont probablement le seul sujet dont l'imam Omran parle autant que de ces femmes impudiques qui sont censées être à l’affut à chaque coin de rue, me forçant à les repousser jour et nuit, et attaquant continuellement mon âme avec leur flot incessant de tentations.
Ben, peut-être que c'est à ça que ressemble la vie de l'imam Omran, mais la mienne sûrement pas.
Adapté de The Onion.