Je ne vois pas très bien l'intérêt de donner son avis personnel sur le Coran, qu'on le trouve beau ou non. Je me suis d'ailleurs abstenu de le faire.
Comme je l'ai déjà dit, je ne cherche pas à vous convaincre de la beauté du Coran.
Citation:
Un poète arabe prétendait pouvoir écrire un livre supérieur au Coran, dont il contestait l'excellence même au simple point de vue du style ; ce jugement, qui est évidemment contraire à la thèse traditionnelle de l'islam, peut s'expliquer chez un homme qui ignore que l'excellence d'un livre sacré n'est pas a priori d'ordre littéraire ; nombreux sont en effet les textes qui renferment un sens spirituel et où la clarté logique se joint à la puissance du langage ou à la grâce de l'expression, sans qu'ils aient cependant un caractère sacré. C'est-à-dire que les Écritures sacrées ne sont pas telles à cause du sujet qu'elles traitent, ni à cause de la façon dont elles le traitent, mais en vertu de leur degré d'inspiration ou, ce qui revient au même, à cause de leur provenance divine ; c'est celle-ci qui détermine le contenu du livre, et non pas inversement ; le Coran - comme la Bible - peut parler d'une multitude de choses autres que Dieu, par exemple du diable, de la guerre sainte ou des lois de succession, sans être moins sacré pour autant, tandis que d'autres livres peuvent traiter de Dieu et de choses sublimes, sans être pour cela Parole divine.
Pour l'orthodoxie musulmane, le Coran se présente, non seulement comme la Parole incréée de Dieu, - s'exprimant toutefois au travers d'éléments créés, tels les mots, les sons, les lettres, - mais aussi le modèle par excellence de la perfection du langage ; vu du dehors, ce livre apparaît pourtant, à part le dernier quart environ dont la forme est hautement poétique, - mais sans être de la poésie, - comme un assemblage plus ou moins incohérent, et parfois inintelligible de prime abord, de sentences et de récits ; le lecteur non averti, qu'il lise le texte dans une traduction ou en arabe, se heurte aux obscurités, aux répétitions, aux tautologies, et aussi, dans la plupart des longues sourates, à une sorte de sécheresse, sans avoir au moins la "consolation sensible" de la beauté sonore qui se dégage de la lecture rituelle et psalmodiée. Mais ce sont là des difficultés qu'on rencontre à un degré ou à un autre dans la plupart des Écritures sacrées. L'apparente incohérence de ces textes (1) - tel le "Cantique des Cantiques" ou certains passages de Saint Paul - a toujours la même cause, à savoir la disproportion incommensurable entre l'Esprit d'une part et les ressources limitées du langage humain d'autre part: c'est comme si le langage coagulé et pauvre des mortels se brisait, sous la formidable pression de la Parole céleste, en mille morceaux, ou comme si Dieu, pour exprimer mille vérités, ne disposait que d'une dizaine de mots, ce qui l'obligerait à des allusions lourdes de sens, à des ellipses, des raccourcis, des synthèses symboliques. Une Écriture sacrée, - et n'oublions pas que pour le Christianisme, cette Écriture n'est pas le seul Évangile, mais la Bible entière avec toutes ses énigmes et ses apparences de scandale, - une Écriture sacrée, disons-nous, est une totalité, elle est une image diversifiée de l'Être, diversifiée et transfigurée en vue du réceptacle humain ; c'est une lumière qui veut se rendre visible à l'argile, ou qui veut prendre la forme de celle-ci ; ou encore, c'est une vérité qui, devant s'adresser à des êtres faits d'argile ou d'ignorance, n'a pas d'autres moyens d'expression que la substance même de l'erreur naturelle dont notre âme est faite.
"Dieu parle brièvement", comme disent les rabbins, et cela explique aussi les ellipses audacieuses, incompréhensibles au premier abord, de même que les superpositions de sens, que l'on rencontre dans les Révélations (2) ; en outre, et c'est là un principe crucial: la vérité est, pour Dieu, dans l'efficacité spirituelle ou sociale de la parole ou du symbole, non dans l'exactitude de fait quand celle-ci est psychologiquement inopérante ou même nocive ; Dieu veut sauver avant de renseigner, il vise la sagesse et l'immortalité et non le savoir extérieur, voire la curiosité.
(1) C'est cette surface d' "incohérence" du langage coranique - et non la grammaire ou la syntaxe - que le poète mentionné a cru devoir blâmer. Le style des Livres révélés est toujours normatif. Goethe a fort bien caractérisé l'allure des textes sacrés: "Ton chant tourne comme la voûte céleste, l'origine et la fin étant toujours identiques". [Note de Rita: Goethe a également dit du Coran: "Aussi chaque fois que nous le lisons, dès le commencement, il nous rebute. Mais soudain il séduit, étonne et finit par susciter l’admiration. Son style, en harmonie avec son contenu et son objectif, est sévère, grandiose, terrible, à jamais sublime. Ce livre continuera d’exercer une profonde influence sur les temps à venir."]
(2) Par exemple, il est dit que la Bhagavadgîtâ peut se lire suivant sept sens différents. [Note de Rita: selon un hadith "le Coran a une apparence extérieure et une profondeur cachée, un sens exotérique et un sens ésotérique ; à son tour, ce sens ésotérique recèle un sens ésotérique ; ainsi de suite, jusqu’à sept sens ésotériques." ; et selon un autre hadith "aucun verset du Coran n’est descendu sans comporter un dos (zahr, c’est-à-dire un extérieur, zâhir) et un ventre (batn, c’est-à-dire un intérieur, bâtin) ; toute lettre a une limite (hadd), et toute ‘limite’ a un haut-lieu (muttala’)."]