Les bonnes histoires de suaire ont la vie dure
Par JAY INGRAM
Source :
Toronto Star, 5 février 2005
Le Suaire de Turin est de retour ! Après avoir fait profil bas pendant quelques années, de nouvelles expériences sur l'âge du suaire s'étalaient sur les journaux et les sites web la semaine dernière. Mais bien que les articles étaient fortement pro-suaire, un examen plus détaillé révèle une réalité bien différente.
L'occasion était la publication d'un rapport dans le journal de chimie
Thermochimica Acta par un scientifique nommé Ray Rogers.
J'ai immédiatement reconnu le nom. Rogers est un fervent partisan du suaire depuis des décennies. Si son nom figure sur un rapport, vous pouvez être sûr qu'il va déclarer que le suaire est authentique.
Il est devenu bien plus difficile de soutenir cela depuis 1988, quand la datation au carbone 14 a montré que le tissu du suaire n'est vieux que d'un peu plus de 700 ans. Pas suffisamment vieux pour avoir enveloppé le corps du Christ, mais le bon âge pour coïncider avec la première apparition historiquement documentée du suaire en France.
Rogers n'y croit pas du tout. Il commence par faire sien un argument avancé par d'autres, selon lequel les quelques fils qui ont été datés au carbone auraient été pris au mauvais endroit – une pièce de tissu qui aurait été utilisée pour réparer des dommages au suaire dans les années 1500. Pas étonnant qu'il ait été daté comme plus récent qu'il y a 2000 ans.
Après avoir établi à sa propre satisfaction que les dates au carbone sont incorrectes, Rogers invente apparemment sa propre méthode de datation, et arrive à une tranche d'âge qui, grande merveille, inclut la vie du Christ.
Il a remarqué que les fibres du suaire (dont il a apparemment rassemblé une petite collection au cours des années) ne contient pas de vanilline, un produit de la décomposition du lin dont a été fait le tissu.
Mais la zone de la pièce (dont il a plusieurs des fils, là aussi) contient beaucoup de vanilline. Rogers décide alors que la quantité de vanilline est comme du sable dans un sablier : moins il y en a, plus le temps a passé. Si ce taux de disparition pouvait être calibré, il aurait là une nouvelle méthode de datation.
Mais attendez une minute. Il prend les choses complètement à l'envers. Il est supposé tester le suaire pour connaître son âge, pas décider à l'avance qu'il est plus vieux et en conclure que la vanilline est pourrait être une bonne horloge pour le prouver. C'est de la mauvaise science. La seule façon dont cela pourrait être pris au sérieux serait si Rogers avait testé une grande variété de tissus, décidé que des quantités de plus en plus réduites de vanilline peuvent servir d'horloge et alors – mais seulement alors – tester le suaire.
Mais ce n'est pas tout. Les méthodes qu'il a utilisées pour mesurer la vanilline sont suspectes. Bien que Rogers note à la fin de son article que tout le travail a été fait "dans un laboratoire au domicile de l'auteur" , le problème n'est pas un manque d'équipement sophistiqué – le problème est le choix de l'équipement.
Clint Chapple, un biochimiste à l'Université de Purdue (Indiana, USA) fait remarquer qu'il est étrange que Rogers utilise une technique extrêmement précise, la spectrographie de masse à pyrolyse, pour évaluer les hydrates de carbone dans le tissu, mais n'a pas choisi de l'utiliser pour la vanilline. Etrange, car il existe des articles scientifiques qui témoignent de l'incroyable précision de cette technique dans le cas de la vanilline.
"
J'ai publié en utilisant cette méthode et j'ai cet instrument dans mon propre laboratoire. La méthode aurait facilement révélé la présence (ou l'absence) de produits de dégradation comme la vanilline si l'auteur s'était sérieusement intéressé à prouver son hypothèse" a dit Chapple.
A la place, Rogers a utilisé une méthode de teinture (s'il y a de la vanilline, la couleur change). Mais c'est un test qualitatif, pas quantitatif.
Malcolm Campbell, un botaniste à l'Université de Toronto (Canada) m'a dit que "
Dans les sciences biologiques, un scientifique n'arriverait pas à faire publier son article s'il essayait de quantifier la vanilline sur la base de cette technique de teinture."
La teinture est un guide grossier concernant la présence de vanilline et ne peut détecter de très petites quantités.
Campbell et Chapple ont identifié d'autres défauts dans l'article (notamment une absence de contrôles et de réplication) mais ceux que j'ai signalés auraient dû suffire pour que la rédaction de
Thermochimica Acta en refusent la publication.
Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? Peut-être n'étaient-ils pas familiers avec la chimie du lin et ses produits de décomposition ; peut-être ont-ils dans le fond de leurs cœurs un faible pour le suaire. Qui sait?
Cet incident souligne le fait que le Suaire de Turin ne quittera jamais la scène, et que les croyants essayeront n'importe quoi, y compris des arguments déguisés en science, pour prouver son authenticité.