Ces articles de fond ont une notoire tendance à la disparition. Je les stocke in extenso dans ce topic,.
http://iicph.org/chernobyl_fr Une tragédie post-Tchernobyl qui aurait pu être évitée Septembre 1, 2002
Analyse critique By Rosalie Bertell, traduit par Solange Fernex, Biederthal, France
IntroductionLes journalistes et les mathématiciens ont l’habitude de se concentrer sur l’une des facettes d’une situation concrète, pour, dans un instantané, en montrer l’ampleur. A titre d’exemple, on peut lire dans le journal qu’un incendie “degré d’alarme 6”, s’est déclaré dans le voisinage. Ceci évoque immédiatement l’image d’un incendie très important, ayant nécessité l’intervention de 6 centres de pompiers. On ne sait rien des pertes en vies humaines, des pertes matérielles, des dommages dus à l’eau ou à la suie, de l’impact sur la santé ou sur l’écologie. Un autre exemple est le taux d’écoute à la télévision. Lorsque on évoque une estimation de “cinq millions de téléspectateurs” pour une émission donnée, on comprend immédiatement qu’il s’agit d’une approximation à titre de comparaison, qui n’indique pas le nombre réel des personnes qui ont suivi l’émission. Il est clair que certaines télévisions étaient allumées dans une pièce vide, et que d’autres transmettaient l’émission à beaucoup de spectateurs, massés dans un café. Nous ne savons pas si les auditeurs ont réagi ni comment, positivement ou négativement, à l’émission. S’il s’agit d’un évènement important, nous nous attendons à ce que des professionnels nous donnent ces détails plus tard.
Une autre habitude trompeuse est de présenter un évènement comme “petit”, lorsqu’il en existe des formes plus traumatisantes. Par exemple, l’exposition à l’uranium appauvri pendant la Guerre du Golfe, est présentée comme “faible” par rapport à un holocauste nucléaire. Pourtant, pour les victimes, cette exposition n’est pas “faible”.
Malheureusement, beaucoup d’employés d’Etat, de physiciens et d’ingénieurs ont utilisé cette technique pour minimiser volontairement aux yeux du public les effets des radiations sur la santé, et en particulier les immenses souffrances causées par Tchernobyl.
Ainsi, beaucoup de gens croient de nos jours que la gravité d’un accident nucléaire se mesure au nombre potentiel des morts par cancers attendus, et que la mort par cancers en est la seule conséquence ! Des rapports minimalistes ont été rédigés après l’accident de Three Mile Island, sous le vent des essais nucléaires, ou après des accidents militaires graves, comme celui qui a disséminé du plutonium sur des terres agricoles en Espagne. Plus récemment, on a tenté de nier que l’exposition à l’uranium appauvri ait causé de graves atteintes à la santé des anciens combattants et des civils, en Irak, au Kosovo et très probablement en Afghanistan.
Dans le cas de Tchernobyl, la minimisation est flagrante. L’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) et l’UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations-Unies pour les Radiations Atomiques) ont déclaré récemment qu’“il n’y a eu que 32 morts, 200 personnes gravement irradiées et 2000 cancers de la thyroïde évitables”. Cette déclaration est bien pire qu’un raccourci mathématique, présentant un instantané d’un désastre.
Un tel rapport, publié quinze ans après une catastrophe complexe, devrait être bien plus précis et crédible. Il semble destiné à effacer des esprits et des préoccupations, les souffrances de millions de personnes, dans les zones rurales non évacuées, et de centaines de milliers de victimes évacuées sans être examinées médicalement. Lorsque l’on creuse un peu, on découvre que des scientifiques et médecins honnêtes, qui ont tenté d’expliquer les graves atteintes et les effets à long terme de l’exposition au nucléaire, ont été réduits au silence.
En réalité, immédiatement après le 26 avril 1986, la politique de l’AIEA a consisté à considérer officiellement comme cas de “radiophobie”, symptôme purement psychologique, tous ceux qui n’avaient pas reçu le certificat “gravement exposé” dans la tente médicale, dressée pour recevoir les “liquidateurs” du désastre. C’est pourquoi les médecins locaux ont affirmé aux gens qu’ils n’avaient à craindre aucune conséquence médicale suite à leur exposition, à part peut-être un cancer dans dix ou vingt ans. Mais pas de problème. Il ne serait plus possible de distinguer les futurs cancers radioinduits des cancers “naturels”.
Cependant devant les maladies qu’ils observaient, les médecins ont rapidement compris que cette information propagée par l’AIEA était loin d’être innocente. On n’est pas surpris de découvrir que ceux qui ont tenté de minimiser le désastre, sont ceux-là même qui sont chargés de promouvoir l’énergie nucléaire, par exemple de faire vendre des réacteurs nucléaires aux pays en voie de développement.
L’expérience de Tchernobyl n’est pas unique, elle est couverte par le même secret que d’autres accidents moins graves, qui ont été minimisés de la même façon, dans le monde économiquement développé, comme dans le monde en voie de développement. Je ne citerai ici que la pollution radioactive de l’usine des terres rares de Mitsubishi à Bukit Merah en Malaisie, les déchets radioactifs rejetés au Nigéria et les aliments contaminés distribués en Egypte, en Papouasie Nouvelle Guinée, en Inde et dans d’autres pays suite au désastre de Tchernobyl.
Pendant ce temps, les problèmes sanitaires de Tchernobyl continuent à s’aggraver, 16 ans après l’explosion, et ils auraient besoin de toute l’attention et de l’aide internationales. Des scientifiques et médecins sont privés de liberté et la population, essentiellement les enfants, souffre. La crise actuelle doit permettre de dénoncer le secret, les intérêts particuliers et la collusion des agences internationales, qui protègent l’industrie nucléaire.
L’industrie nucléaire s’approprie le label : “propre et sûre”. Il est important de démasquer cette publicité abusive, pour avertir les pays en développement économique, en train de faire des choix technologiques dans le domaine de l’énergie, et pour venir en aide aux victimes. L’industrie et les agences nucléaires ne survivent que grâce à une publicité mensongère, placée au service de la technologie nucléaire.
Leçons de Hiroshima et de NagasakiContrairement aux études menées habituellement par les toxicologues sur les substances toxiques le domaine des effets des radiations sur la santé a été dominé, dès l’aube de l’ère nucléaire, par les physiciens, les ingénieurs et les mathématiciens. Leurs communications sur la santé différent radicalement, dans leur contenu, des communications similaires des professionnels de la santé, toxicologues, médecins du travail ou de santé publique.
Dès le début, ce domaine a été investi par les physiciens du Projet Manhattan, soucieux de préserver les secrets de l’ère nucléaire pendant la Seconde Guerre Mondiale. En effet, les rayonnements étaient un effet direct de la bombe atomique. Le secret a obligé ces “scientifiques durs” à négliger la grande diversité des atteintes sanitaires, ainsi que la multiples vulnérabilités d’une population vivante, exposée à ce type de danger. Des professionnels de la santé auraient, quant à eux, prévu la variété des réponses biologiques.
Depuis Hiroshima et de Nagasaki, presque tout le monde a entendu parler du syndrome d’irradiation aiguë, avec vomissements, perte de cheveux, altérations des cellules sanguines etc. A partir de cette information partielle, le public croit naïvement qu’en l’absence d’une maladie aiguë des radiations certifiée, (souvent par les physiciens du gouvernement), les maladies graves dont souffrent les personnes ayant été exposées aux rayonnements, sont dues à autre chose, à n’importe quoi, à tout sauf à leur exposition aux radiations.
Cela pouvait peut-être se comprendre au début. Mais à Tchernobyl il est ridicule d’exiger les preuves d’une irradiation aigüe, aors que des millions de personnes sont exposées dans des zones rurales non évacuées, que des centaines de milliers de personnes ont été évacuées sans être examinées médicalement, et que la population continue de se nourrir depuis 16 ans à partir d’aliments contaminés.
Par ailleurs, les maladies dues à l’irradiation sont restées ignorées chez beaucoup de victimes dans les deux villes japonaises. Prédire le nombre des atteintes dues aux radiations en se basant sur les maladies d’irradiation aiguë est erroné, ce sont des altérations de la structures d’une cellule qui conduisent aux cancers mortels. Or il est prouvé que les atteintes cellulaires peuvent être induites à un niveau d’exposition bien inférieur que celui qui cause une maladie clinique aiguë.
La quantité d’énergie émise par une seule désintégration, dans un seul des atomes d’un radioélément, se mesure en milliers ou millions d’électron-volts. Il suffit de 6 – 10 électron-volts pour casser les liaisons moléculaires dans l’ADN et l’ARN d’une cellule, qui sont les constituants des gènes vitaux.
Les registres de l’exposition et de la santé sont incomplets pour Hiroshima et Nagasaki. Ce n’est qu’après le recensement japonais de 1950, qui a identifié les survivants, que les centres de recherche ont commencé à sélectionner la cohorte de victimes. Ce n’est qu’en 1967 que les scientifiques du Laboratoire National d’Oak Ridge aux Etats-Unis ont réalisé la première reconstruction de dose.
Les morts antérieures à 1950 ont été ignorées. Des certificats de décès, parfois incomplets, ont été utilisés pour déterminer la première cause de morts dans la cohorte étudiée. Jusqu’en 1994, les cancers non mortels n’ont pas été enregistrés. Comme beaucoup de survivants sont encore en vie, leur “cause de mort” n’a pas encore pu être étudiée. Les maladies non cancéreuses ayant été classés comme “sans importance”, elles n’ont pas été étudiés systématiquement.
Beaucoup de personnes sont entrées dans les territoires contaminés de Hiroshima et de Nagasaki après l’incendie, d’autres ont consommé de la nourriture ou de l’eau contaminées, et ont souffert de maladies d’irradiation. Ces personnes n’ont jamais été reconnues officiellement comme ayant été “exposées”, et en conséquence, elles sont comptabilisées dans le groupe contrôle.
Il est simple d’expliquer cela à un mathématicien, sachant que les études de Hiroshima et de Nagasaki ne concernaient que les effets des rayonnements pénétrants immédiats, à partir de l’explosion de la bombe, chez des personnes qui se trouvaient à l’intérieur d’un rayon de 3 km autour de l’hypocentre, au moment zéro.
Un militaire qui ne veut connaître que les effets des radiations d’une bombe, trouvera que cette limitation artificielle de l’information est utile.
Par contre, lorsqu’une société civile cherche à connaître les effets de la radioactivité artificielle sur l’organisme humain, toute les sources de radioactivité artificielle, y compris les retombées, la contamination de la nourriture et de l’eau, les débris radioactifs sur le site etc, sont importantes. Transformer la définition d’“exposition à la radioactivité artificielle” en celle d’ “exposition à la bombe”, et se baser là dessus pour en tirer des politiques de médecine du travail et de santé publique, est vraiment problématique !
Leur polarisation sur le premier flash de la bombe atomique, a conduit les physiciens nucléaires à commettre de graves erreurs d’estimation des atteintes biologiques suite à l’ingestion de particules radioactives, dont beaucoup subsistent longtemps dans l’organisme humain, et pour certaines, réagissent biochimiquement avec le matériel génétique de la cellule.
Et pourtant, le comportement inadéquat des officiels face au traitement médical des survivants de Tchernobyl et d’autres accidents nucléaires, semble toujours encore être dicté par l’étude de la bombe atomique. Ceci est également la cause de la répression, dont souffrent des scientifiques et médecins honnêtes qui se sont penchés sur les besoins des personnes exposées, souffrantes. Beaucoup de ces scientifiques et médecins, actuellement en prison ou réduits au silence, ont mené des études scientifiques bien planifiées et bien réalisées.
La non pertinence de l’étude des effets de l’irradiation externe d’une bombe pour évaluer les effets de l’exposition à la radioactivité ingérée ou inhalée, et l’utilisation de cette recherche pour former les jeunes physiciens et ingénieurs atomistes, sont à l’origine de beaucoup d’erreurs scientifiques et de problèmes administratifs. L’incapacité à prendre en compte toute la dimension des problèmes de la radioactivité, a été ancrée au sein même des agences fondées dans les années 1950, pour protéger les personnes menacées par les retombées des essais nucléaires en atmosphère.
Je vais tenter de mettre en lumière les problèmes posés par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (IAEA), le Comité Scientifique des Nations Unies pour les Radiations Atomiques (UNSCEAR ), la Commission Internationale pour la Protection contre les Rayonnements (CIPR), le Comité de l’Académie des Sciences des Etats-Unis sur les Effets Biologiques des Rayonnements Ionisants (BEIR), et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Toutes ces organisations, sauf l’OMS qui a été reléguée au traitement des victimes et exclue de la compréhension du problème, jouent un rôle clé dans les politiques actuelles de radioprotection et de santé publique et dans l’approche erronée des effets des radionucléides ingérés ou inhalés. Ironiquement, l’Organisation Mondiale de la Santé, créé par les Nations Unies en 1948, n’a reçu aucun mandat pour évaluer l’impact sanitaire de cette menace globale pour la santé et l’environnement.
Initiatives des Nations UniesLes bombes atomiques ont été utilisées pour la première fois pour la guerre en 1945, quand les Etats-Unis les ont larguées contre le Japon à Hiroshima et à Nagasaki. Dès 1946, les Etats-Unis ont commencé à tester leurs bombes atomiques en atmosphère dans les Iles Marshall, dans l’Océan Pacifique. L’ancienne Union Soviétique a montré qu’elle possédait la bombe atomique en 1949, et on a craint un échange nucléaire pendant la Guerre de Corée. Le Royaume Uni a commencé à tester ses bombes au large des côtes de l’Australie dans les années 50, puis sur le continent australien et dans des Iles du Pacifique.
Les premières bombes atomiques reposaient sur la fission, et de ce fait, leur puissance destructive restait limitée. En dispersant le matériel fissile, la puissance de l’explosion mettait un terme à la libération d’énergie. En 1954, les Etats Unis ont testé une bombe thermonucléaire (bombe à hydrogène), nommée Bravo, sur l’atoll de Bikini dans les Iles Marshall, démontrant qu’il était possible de fabriquer une bombe dotée d’une énergie illimitée. Cette réussite militaire a conduit le Président Dwight Eisenhower à prononcer son discours sur “l’Atome Pacifique” en 1954.
Ce discours fut suivi d’un revirement radical de la politique militaire américaine, désormais dépendante de l’armement atomiques, avec une course à la production d’uranium et au développement des technologies nécessaires pour un programme majeur de renouvellement des armements : mines et extraction d’uranium, usines d’enrichissement d’uranium, fabrication d’explosifs nucléaire, réacteurs nucléaires, usines de retraitement, et tous les transports dangereux associé à ces industries.
Afin d’obtenir, en temps de paix, la coopération de l’Amérique et du monde entier à cet énorme programme militaire, il a paru nécessaire de développer une version commerciale, soi-disant “pacifique”, des technologies nucléaires. La production d’électricité nucléaire a été présentée comme “étant capable de couvrir tous les besoin énergétiques du monde en développement”, et on a dit que l’énergie produite serait “si bon marché qu’on ne pourrait même pas en calculer le prix”.
Les Nations Unies ont réagi en créant, en 1955, l’UNSCEAR (Rés.913 (X) 1955), pour “évaluer et enregistrer les niveaux et les effets de l’exposition aux rayonnements ionisants”. Le site de l’UNSCEAR indique que “les gouvernements et les organisations du monde entier se fondent sur les estimations du Comité, bases scientifiques pour l’évaluation des risques des rayonnements, ainsi que pour l’établissement des normes de radioprotection et de sécurité et celui des normes d’expositions aux rayonnements”. L’UNSCEAR était conçue comme une organisation de physiciens. En effet à l’époque, il n’y avait qu’eux pour mesurer les rayonnements, étant donné qu’échappant à nos sens, ceux-ci nécessitent des instruments spéciaux pour leur détection.
C’est ainsi que les physiciens sont devenus les “uniques experts” dans le domaine des dangers des rayonnements ionisants, et cela bien que ne disposant pas de l’expertise permettant de prédire les diverses réponses physiologiques à ces dangers. Ironiquement, et peut être à cause de leur formation spécifique, leur démarche a consisté à fractionner toutes les expositions aux rayonnements, en calculant une “dose moyenne/homme” pour toute la population du globe, à présent environ 6 milliards d’humains. La radioactivité naturelle, ubiquitaire, irradie chaque personne de manière homogène. Par contre, un accident localisé, ou l’exposition relativement limitée d’un travailleur, si on la répartit sur une population globale, apparaît comme négligeable. Elle n’est pas négligeable pour celui qui a été exposé.
L’UNSCEAR est principalement une agence d’enregistrement, qui analyse les mesures de retombées radioactives, les expositions des travailleurs, et parfois, les émissions des centrales nucléaires. Les législateurs estiment probablement que cette agence assure un suivi indépendant des activités nucléaires, une surveillance des pollutions prévisibles, et qu’elle fournit des estimations théoriques des effets sur la santé. Malheureusement, l’UNSCEAR a fait appel précisément aux scientifiques qui, lorsqu’ils élaboraient les prévisions, estimaient que “les faibles doses sont sans dangers”. Aucune autre industrie n’est autorisée à se contrôler elle-même. Nous ne demandons pas à l’industrie du tabac de rechercher les méfaits du tabac, ni aux fabricants de pesticides de nous expliquer leurs effets sur les enfants.
En réponse au discours d’Eisenhower sur “l’Atome Pacifique”, les Nations Unies ont créé en 1957 l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA), qui se présente comme “une organisation intergouvernementale indépendante, scientifique et technologique, dans la famille des Nations Unies, servant de point focal pour la coopération nucléaire” Son mandat est le suivant : “promouvoir les utilisations pacifiques de la technologie nucléaire, établir des normes de sécurité et vérifier que la technologie nucléaire militaire ne prolifère pas horizontalement parmi les nations non-nucléaires”. Ils n’ont aucun mandat se rapportant aux armes atomiques des 5 grandes puissances nucléaires. Du fait de son mandat de contrôle nucléaire, l’AIEA dépend directement du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Réactions de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).En 1956, l’OMS, créée en 1948 par les Nations Unies, s’alarma des essais nucléaires en atmosphère, et de l’expansion prévue de cette technologie à des “fins pacifiques”. Elle réunit d’éminents généticiens à Genève, pour évaluer le danger que cette exposition risquait de faire courir au patrimoine génétique, écologique et humain.
Le Professeur Hermann Muller, distingué par le Prix Nobel en 1944 pour son travail sur les mutations génétiques induites par les rayonnements ionisants chez la drosophylle, participa à cette conférence. Bien que les Etats- Unis ne l’aient pas désigné comme leur délégué à cette réunion, il fut acclamé pour son travail, et il s’opposa sans cesse à l’expansion de la technologie nucléaire dans le domaine des applications civiles. La conclusion de ce groupe d’experts fut, que la communauté scientifique ne disposait pas d’informations suffisantes pour garantir l’intégrité des générations futures, en cas d’augmentation de la charge en rayonnements ionisants. Ils recommandèrent la plus grande prudence et demandèrent des études scientifiques approfondies au Kérala, en Inde, où existe une importante source de radioactivité naturelle dans un espace habité depuis des centaines d’années. Ces recommandations n’ont jamais été mises en oeuvre par les gouvernements, désireux de développer leurs activités nucléaires.
Plus tard, une ONG indépendante en Inde, a étudié les atteintes génétiques dans cette zone radioactive naturelle. Celles-ci étaient augmentées de manière significative. Un article de B.A. Bridges dans Radiation Research (Vol 156:631 – 641, 2001), suggère que les mutations génétiques dues aux rayonnements montrent qu’“il est impossible d’évaluer la réponse à une dose de radiation”. Les conséquences sanitaires d’une modification des séquences de l’ADN sont plus compliquées que ce que l’on imaginait. Les graves implications de la pollution radioactive pour les générations futures reste un domaine de recherche où une grande prudence est de mise.
On peut deviner les préoccupations politiques qui ont présidé à la seconde conférence de l’OMS, qui a réuni en 1957 des psychiatres pour évaluer l’impact de santé publique des activités nucléaires pacifiques. Ces professionnels ont conclu que ces activités seraient susceptibles de susciter un stress néfaste dans la poulation, à cause du rapprochement avec la bombe atomique. L’absence de parenté entre une bombe et une centrale nucléaire a été répétée comme une formule sacrée par les physiciens, qui, par la suite, ont contrôlé toute l’information sur les impacts des technologies nucléaires sur la santé.
Tout récemment, au moment où l’UNSCEAR a publié son rapport sur “15 ans après Tchernobyl, l’un de ses portes-parole, le Dr. Neil Wald, Professeur de Santé et Environnement à l’Ecole de Santé publique de l’Université de Pittsburgh, a déclaré : “Dans ce domaine, il est important d’éviter dans la mesure du possible une mauvaise information du public , car des perceptions infondées, ainsi que la crainte du danger peuvent, par eux mêmes, causer des atteintes évitables à la santé, ainsi que des évaluations coûts bénéfices sociétalement faux”. Traduit librement, le Dr. Wald semble dire : “Si le public est inquiet, il nous ne sera plus possible de gagner de l’argent avec la technologie nucléaire”.
Après l’accident de Three Mile Island (TMI) en 1979, suite à la demande par le public d’une étude sur la santé, le gouvernement lança une enquête dirigée par un psychiatre de l’Académie Navale d’Annapolis. Celui-ci traça des cercles concentriques autour du réacteur nucléaire accidenté, et compara les taux de cancers ainsi que les niveaux d’inquiétude et de tension des habitants dans ces cercles. Une étude crédible aurait fait des recherches sous le vent des rejets radioactifs atmosphériques, ou en aval des rejets liquides. Cette étude officielle trouva que seule l’inquiétude présentait une corrélation positive par rapport à la distance du réacteur.
Environ 2000 personnes des environs de TMI ont porté plainte pour obtenir des compensations pour les atteintes à leur santé, suite à leur exposition aux rayonnements. Les exploitants se sont battus jusqu’à la Cour Suprême des Etats Unis pour que ces cas ne soient pas jugés. Ils ont perdu. Ensuite, l’industrie nucléaire a découvert une ancienne loi selon laquelle des experts entendus comme témoins doivent utiliser la même technologie que les professionnels du domaine en question. C’est ainsi que l’industrie nucléaire a réussi à disqualifier tous les experts venus témoigner en faveur des victimes (médecins, épidémiologistes, botanistes, biologistes). Les physiciens et ingénieurs ont prétendu être les seuls experts dans le domaine des effets des rayonnements sur la santé. Tous les cas ont été rejetés par la cour, sans avoir été entendus.
Le marché conclu en 1959 entre l’AIEA et l’OMSLe conflit potentiel entre ceux qui désiraient exploiter la nouvelle technologie nucléaire, pour le profit et le pouvoir militaire, et les gardiens de la santé publique, a été résolu superficiellement par un Accord (Res WHA12-40, 28 mai 1959) signé entre l’OMS et l’AEIA. Cet accord stipule que l’AIEA et l’OMS reconnaissent que “l’AIEA a la responsabilié première d’encourager, assister et coordonner la recherche sur, et le développement et les applications pratiques de l’énergie atomique à usages pacifiques dans le monde entier, sans préjudice pour le droit de l’OMS de se consacrer à la promotion, au développement et à la coordination de travaux internationaux sur la santé, y compris la recherche sous tous ses aspects”. Si le lecteur est confus, le rédacteur ne l’était pas moins.
Pour comprendre cette phrase, il faut savoir qu’à l’époque, les effets des rayonnements sur la santé étaient classés SECRETS par la Loi de l’Energie Atomique des Etats-Unis, pour raisons de sécurité nationale. Le “travail de santé international” assigné à l’OMS, consiste à s’occuper des victimes. Bien que, techniquement, l’AIEA et l’OMS soient “égaux” dans la famille des Nations Unies, les agences qui dépendent directement du Conseil de Sécurité, comme l’AIEA, ont un statut hiérarchique plus élevé.
Dans l’article 1. § 3 de l’accord AIEA/OMS il est écrit : “Chaque fois qu’une organisation propose un programme ou une activité sur un sujet, pour laquelle l’autre organisation a, ou pourraît avoir un intérêt substantiel, la première partie consultera la seconde en vue de résoudre le problème par consentement mutuel”. Cette clause semble avoir affaibli l’OMS dans sa recherche au moment du désastre de Tchernobyl, et a donné à l’AIEA le feu vert pour faire évaluer les dommages par des physiciens et des radiologues médicaux, n’ayant qu’une connaissance limitée des effets des rayonnements sur la santé. (Note : Bien que les radiologues utilisent les rayonnements ionisants dans leur travail, ils ne se préoccupent de leurs effets secondaires sur la santé, qu’après que leur patient ait reçu des rayonnements à des doses thérapeutiques).
Cette première évaluation a utilisé un protocole épidémiologique différent dans chaque région géographique, et pour chaque groupe d’âges différents, elle a éliminé toute recherche sur les cancers dont la période de latence n’était pas encore atteinte. Ceci explique qu’elle n’ait pas détecté l’extraordinaire épidémie de maladies et de cancers de la thyroïde. Du point de l’épidémiologie médicale, ils ont échoué lamentablement à rendre compte de la réalité. Le Directeur de cette étude épidémiologique de 1991, le Dr. Fred Mettler, est un radiologue médical. Il n’y avait aucun épidémiologue, professionnel de santé publique, ou toxicologue dans l’équipe de l’AIEA.
La CIPR autoproclaméeL’UNSCEAR a continué à être une agence de mesures, qui vérifie que tous les rejets autorisés de rayonnements ionisants dans l’environnement et que toutes les expositions de travailleurs sont “acceptables”. Il appartient à l’AIEA d’“établir ou d’adopter, en collaboration avec d’autres corps internationaux compétents, des normes de sécurité pour la protection de la santé et de veiller à l’application de ces normes”.
Ni l’AIEA ni l’UNSCEAR ne se sont adressés à l’OMS, pour élaborer les normes de radioprotection. Au lieu de cela, ils ont tous deux fait appel à la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), une organisation non gouvernementales autoproclamée, fondée après 1945 par les physiciens du Projet Manhattan (qui avaient développé la bombe), en collaboration avec les Radiologues Médicaux, qui s’étaient organisés dès 1928 pour se protéger eux-mêmes et leurs collègues contre les graves conséquences de l’exposition aux rayons X. La CIPR comporte un Comité Principal de 13 personnes, qui prend toutes les décisions. Les membres du Comité Principal, auto-proclamés à l’origine, se perpétuent par cooptation, puis validation par le Comité Directeur en exercice. Aucune agence extérieure ne peut placer un membre dans la CIPR, même pas l’OMS.
Le rapport 2000 de l’UNSCEAR a été rédigé par un Comité de Rédaction comprenant les 7 personnes suivantes, qui étaient par ailleurs toutes membres du Comité Principal de la CIPR. : le Prof. Roger Clark (actuellement président de la CIPR), le Prof. Rudolf Alexakhim, le Dr. John D. Boice, le Prof Fred A. Mettler (le radiologue qui avait dirigé l’étude épidémiologique de l’AIEA sur Tchernobyl en 1991), le Dr. Zi Quiang Pan et le Dr. Yasuhito Sasako.
C’est la CIPR qui élabore les recommandations pour la protection de la santé humaine des travailleurs et du public en général. De son propre aveu, elle n’est pas une organisation de santé publique ou environnementale. Elle s’est octroyés à elle-même la tâche de marchander les atteintes à la santé prédictibles, suite à l’exposition aux rayonnements, contre les bénéfices des activités nucléaires (y compris la production et les essais des armes nucléaires). La première recommandation de la CIPR a été publiée en 1957, date à laquelle les radiologues médicaux ont tout bonnement repris une proposition rédigée par les physiciens anglais, canadiens et américains après la Seconde Guerre Mondiale.
La recommandation de la CIPR prévoyait que les travailleurs pouvaient recevoir 15 rads (150 mSv) par an. Elle s’est heurté par la suite à l’opposition de l’agence de radioprotection britannique (NRPB), ainsi qu’à celle d’un comité indépendant, nommé BEAR (Effets biologiques des Radiations Atomiques), fondé aux Etats-Unis par la Fondation Rockefeller.
Ceci obligea la CIPR à réduire les limites admissibles pour les travailleurs du nucléaire à 5 rads (50 mSv) par an. Les doses maximales admissibles pour les membres du public étaient dix fois plus faibles.
Cette recommandation resta valable jusqu’en 1990, où, sous la pression de plus de 700 scientifiques et médecins, et après une nouvelle reconstruction des doses dans les centres de recherche sur la bombe atomique, l’exposition des travailleurs fut réduite à 2 rads (20 mSv) par an, et les expositions du public réduites d’un facteur 5, à O,1 rad (1mSv) an.
Qui est responsable ?Il faut noter qu’aucune agence ne porte de responsabilité par rapport aux recommandations de la CIPR, et que l’OMS est exclue de toute collaboration professionnelle ou de commentaires à ce sujet. La CIPR recommande, et les Nations sont libres de mettre en oeuvre ou non ces Recommandations. Généralement, les Nations acceptent les Recommandations de la CIPR, sous prétexte qu’elles n’ont ni l’expertise ni les moyens financiers pour établir leurs propres normes. Ces recommandations représentent un marchandage coût/bénéfice, et ne prétendent pas être basées (ou pas primairement) sur la protection de la santé du public ou des travailleurs.
L’AIEA déclare : “La base biologique, qui sous-tend les normes, a été, ces dernières décades, de la responsabilité primaire de l’UNSCEAR. Ce comité a été fondé pendant la période des essais nucléaires en atmosphère, afin d’évaluer les processus physiques et les effets sur la santé des retombées. Depuis il a considérablement élargi son champ d’action”.
Nous avons vu que l’UNSCEAR comptait parmi ses membres des personnalités issues du Comité Principal de la CIPR, et qu’il en dépendait. Il en découle que ceux qui fixent les normes sont les mêmes que ceux qui les valident !
Généralement, on confronte une théorie scientifique à la réalité, et quand elle ne s’y conforme pas on la rejette. Ici, les recommandations sanitaires sont confrontées à la réalité des victimes des rayonnements, et quand cette réalité n’est pas conforme à la théorie, c’est elle qui est rejetée. On attribue alors les souffrances à toutes sortes de causes, sauf au facteur radiologique.
Une autre organisation qui évalue les risques liés aux rayonnements, est le comité BEIR de l’Académie des Sciences américaine. Le BEIR (Effets Biologiques des Rayonnements Ionisants), a été fondé en 1978 aux Etats Unis, pour réfuter les accusations, selon lesquelles les essais nucléaires au Nevada auraient causé la mort de milliers de bébés américains. BEIR réalise essentiellement des rapports et des interprétations des études des effets des bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki, dont il a été question plus haut. On se rappellera que ces études sur la bombe atomique ne fondent pas les normes de radioprotection de la CIPR. En effet, celles-ci ont été établies antérieurement, 17 ans avant la publication en 1967 de la reconstruction des doses des survivants, qui est la base des études sur les effets des bombes.
Les directives de l’AIEA qui fixent des normes pour les rayonnements des déchets nucléaires, ont été rédigées “sur la base des recommandations d’organisations internationales, principalement la CIPR, et sur les estimations des risques des rayonnements de l’UNSCEAR”. Les recommandations de sécurité pour les déchets atomiques, y compris les normes, codes de conduite, règlements etc, “peuvent être adoptés par les Etats membres, de leur propre initiative, pour leur usage national”. Ces directives de l’AIEA ne sont contraignantes que pour l’AIEA.
Et les populations de Tchernobyl ?Il est facile d’imaginer que de nombreuses victimes de la maladie des rayonnements n’ont jamais été examinées à l’Hôpital 6 à Moscou, dans le chaos pendant et après le désastre de Tchernobyl ! Cela n’empêche pas l’IAEA de continuer, jusqu’en 2002, à répéter que “32 personnes seulement sont mortes suite à l’exposition aux rayonnements de Tchernobyl !” Ces morts “dénombrés” étaient tous des pompiers, identifiés comme ayant été gravement exposés et malades, par les médecins héroïques et autres personnels médicaux dans la tente d’urgence, proche du réacteur explosé.
Ce genre de recensement va au delà des raccourcis mathématiques et journalistiques habituels – il minimise, de manière délibérée et nuisible l’ampleur du désastre, ce qui laisse le public vulnérable. Les victimes des rayonnements souffrent, privés de la reconnaissance et de l’aide médicale nécessaires. Le reste du monde, quant à lui, n’est pas préparé face à un désastre à venir, peut-être plus grave encore.
Par ailleurs, étant donné que la terre contaminée par le réacteur explosé est empoisonnée, les fruits et légumes qui y poussent, et les animaux domestiques qui s’y nourrissent, leur lait et leur viande sont également contaminés. Suivant en cela les conseils de l’AIEA, la Russie, l’Ukraine et le Bélarus ont mélangé cette nourriture contaminée avec de la nourriture non contaminée, venant d’autres parties de l’ancienne Union Soviétique. Cette nourriture diluée (ou adultérée) a été distribuée aux populations, ce qui, depuis 15 ans, les expose à une contamination interne chronique, par de faibles doses, à partir des radionucléides ingérés. Au Bélarus, des personnes reçoivent même de l’argent du gouvernement pour recoloniser les zones gravement contaminées et y fonder de nouveaux centres de production agricole.
Les déclarations mensongères de l’AIEA ont également découragé la communauté internationale de secourir les victimes de ce désastre. Sur le plan international, les gens n’ont pas répondu avec la générosité habituelle aux besoins immenses des populations, dont la santé et la vie sont cruellement atteints.
L’AIEA et son organisation soeur, l’UNSCEAR ont été plus loin encore. Dans leur rapport de l’hiver 2002, ils recommandent que des réfugiés d’Asie Centrale ou du Caucase recolonisent les terres contaminées, proches du réacteur explosé. Ceci pose de très graves questions sur les effets de la désinformation et de la communication faussée autour de ce désastre.
Deux agences des Nations Unies, nommément l’AIEA et l’UNSCEAR (ainsi que leur partenaire, la CIPR), ont apparemment supplanté l’OMS, en s’appropriant la communication sur les risques sanitaires de la technologie nucléaire et, en particulier, sur la contamination post-Tchernobyl des populations et des sols. Savoir si la contamination d’une terre est compatible avec le fait d’y habiter et d’y produire de la nourriture, exige une évaluation approfondie des risques pour la santé, et non un OK publicitaire de deux agences qui ont des liens économiques avec l’industrie polluante.
L’OMS a tenté de prendre une initiative en faveur des victimes. En 1995, son Directeur Général, le Dr. Hiroshi Nakajima, a organisé à Genève une conférence internationale rassemblant 700 experts scientifiques et médecins, dont beaucoup venaient de Russie, du Bélarus ou d’Ukraine. A son grand mécontentement, l’AIEA n’a pas été invitée à co-organiser cette conférence exclusivement médicale, mais elle a réussi par la suite à bloquer la publication des actes.
En juin 2001, les Médecins de Tchernobyl ont organisé une conférence à Kiev et ont invité comme Président d’Honneur le Dr. Nakajima (qui n’était plus le Directeur Général de l’OMS). Interrogé sur la non publication des actes de la conférence de l’OMS sur la santé des victimes de Tchernobyl en novembre 95, voici ce qu’il a répondu : “J’étais Directeur Général et j’étais responsable, Mais c’est principalement mon département juridique. … Car l’AIEA dépend directement du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Et nous, toutes les organisations spécialisées nous dépendons du Conseil Economique et Social (ECOSOC) – non hiérarchiquement, nous sommes tous égaux – mais pour les affaires atomiques,….l’utilisation militaire … et les utilisations civiles ou pacifiques …. c’est eux qui ont l’autorité.”
La structure interne inadaptée des Nations-Unies a donc étouffé la voix des médecins et des scientifiques qui soignent et étudient les victimes. Il est scandaleux de mesurer en premier les rayonnements, puis d’élaborer une théorie prouvant que personne n’a subi de dommage. Il faudrait commencer par examiner les victimes avant de se prononcer sur les atteintes subies.
Malheureusement, au niveau international, c’est l’avis des théoriciens de la CIPR, une ONG qui s’exprime au travers de l’AIEA et de l’UNSCEAR, qui a prévalu ! Toutes trois, ces agences ont un intérêt économique à préserver la réputation de l’industrie nucléaire, une industrie “propre et bon marché”, et ceci contre toute évidence.
Le représentant de l’Office des Nations Unies pour les Affaires Humanitaires (OCHA), le Dr. Zupka, était présent à la conférence de Kiev. Il fit part à l’auditoire de l’avis de Kofi Annan, qui estime que le nombre des victimes de Tchernobyl s’élève à 9 millions de personnes et que ce nombre va augmenter ! Cet avis est malheureusement étouffé par les déclarations “scientifiques” de la CIPR, exprimées par l’intermédiaire de l’AIEA et de l’UNSCEAR. Cela peut paraître incroyable, mais il s’agit du pesant fardeau dont avons hérité, à cause du secret nucléaire.
Se basant sur les déclarations théoriques, orientées, de la CIPR, et sur ses recommandations de radioprotection, qui répondent aux souhaits des radiologistes, des physiciens et des ingénieurs, même lorsqu’elles sont contredites par la réalité des souffrances des victimes de Tchernobyl, les “experts” déclarent avec autorité que les problèmes de santé observés ne sont en aucun cas causés par l’exposition aux rayonnements.
Ces problèmes sont attribués à des facteurs non identifiés, dans le style de vie ou l’environnement. Hans Blix, Directeur de l’AIEA au moment du désastre de Tchernobyl, a été jusqu’à dire : “L’industrie atomique pourrait supporter une catastrophe comme Tchernobyl chaque année”. Il existe un conflit d’intérêts évident au sein de cette agence, dont le mandat est de promouvoir les technologies nucléaires.
Lors de la conférence de Kiev, Alexey Yablokov, Président du Centre pour l’Ecologie Politique de la Fédération Russe, a révélé que les données utilisées par l’UNSCEAR avaient été falsifiées par le Comité D’Etat des Statistiques, et que des fonctionnaires avaient arrêtés en 1999 pour ce crime. Il accusa l’UNSCEAR de continuer à utiliser ces données falsifiées, en vue de minimiser les atteintes de Tchernobyl.
La recherche médicale du Professeur Y. Bandazhevsky, un médecin pathologiste, Recteur de l’Institut Médical de Gomel, au Bélarus, a été présentée à ce congrès par un confrère, le professeur Michel Fernex, car le professeur Bandajevsky était en résidence surveillée.
Le Bélarus a subi la majeure partie des retombées du désastre de Tchernobyl. Après 9 années de recherches dans les territoires contaminés par Tchernobyl, Bandajevsky a découvert que le césium 137 incorporé avec les aliments contaminés, conduisait à la destruction d’organes vitaux, dans lesquels il se concentrait davantage que dans le corps dans son ensemble. Avec sa femme, une pédiatre et cardiologue, Bandajevsky a décrit ce qu’il a dénommé “la cardiomyopathie du césium”, qui, selon certains scientifiques, portera plus tard son nom. La lésion du coeur devient irréversible à un certain niveau de gravité et après une durée excessive de contamination. La mort subite peut intervenir à tout âge, même chez des enfants.
Après avoir publié ses résultats, dénoncé la politique de non intervention du gouvernement et déploré la mauvaise répartition des moyens financiers consacrés à la recherche sur les conséquences médicales du désastre, Bandajevsky a été arrêté, jugé et condamné à 8 années de prison.
Le procès du Professeur Bandajevsky a été suivi par des juristes de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), de l’Ambassade de France à Minsk et d’Amnesty International. Ces observateurs ont noté plusieurs irrégularités et erreurs judiciaires, dès la date de son arrestation.
Au milieu de la nuit du 13 juillet 1999, Bandajevsky a été arrêté par un groupe d’officiers de police, qui l’ont informé qu’il était arrêté conformément au décret présidentiel de lutte contre le terrorisme. Cette accusation n’a jamais été évoquée devant le tribunal. De fait, ce n’est que 4 semaines plus tard, en août 1999, que le Professeur Bandajevsky a finalement été accusé d’avoir accepté des pots de vins. Ceci s’est révélé être des accusations forgées par deux accusés, qui ont rétracté leurs “aveux” par la suite, disant qu’ils leur avaient été extorqués par la torture et les menaces.
Le Professeur Bandazhevsky n’a pas eu le droit de voir son avocat pendant la première partie de sa détention. Son procès a été entaché par de graves violations du code criminel du Bélarus et du Droit International. Amnesty International a adopté Bandazhevsky comme prisonnier de conscience. Son état de santé est mauvais, et son importante recherche médicale est interrompue depuis plus de deux ans dans son Institut.
Le professeur Bandajevsky n’est pas seul. La communauté médicale de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine, bien que privée d’expression dans les milieux internationaux, est toujours présente et s’active pour soigner les souffrances et pour noter la cause des maladies. Beaucoup ont réalisé des études scientifiques de grande qualité sur les effets génétiques, tératogènes et somatiques des rayonnements. Ils ont confirmé leurs analyses par des démonstrations dans l’expérimentation animale. Le reste du monde est privé de cette recherche, à cause du lourd silence imposé à ces scientifiques par leurs autorités nationales, qui agissent conformément recommandations de l’AIEA, de l’UNSCEAR, et tout particulièrement de la CIPR.
RecommandationsBien que beaucoup de personnes tentent d’attirer l’attention sur ce problème majeur des Nations-Unies, il a été difficile d’expliquer cette situation complexe au public, sous une forme “compréhensible”. Un sérieux travail devra être réalisé par les Nations Unie pour réparer tous les dommages causés. Cependant il semble possible de faire les recommandations suivantes aux Nations Unies :
1. L’OMS devrait être mandatée pour revoir toutes les recherches sur les effets sanitaires des radiations et pour élaborer des normes de radioprotection basées sur la santé. Ce mandat devrait être exécuté par des professionnels de la santé, y compris des épidémiologistes, des oncologues, des spécialistes de la médecine du travail et de la santé publique, des généticiens et des pédiatres, (n’ayant pas de liens avec l’industrie nucléaire ou la médecine nucléaire), plutôt que par des scientifiques d’autres disciplines.
2. Le mandat de l’AIEA consistant à “promouvoir les technologies nucléaires”, devrait être supprimé.
3. Le mandat de l’AIEA consistant à surveiller la prolifération des armes nucléaires devrait être élargi à la surveillance de la réduction et de l’abolition de toutes les armes atomiques, dans tous les pays nucléaires.
4. Le mandat de l’UNSCEAR devrait inclure le suivi de l’augmentation des niveaux du rayonnement de fonds, ainsi que celui des rejets nucléaires, autorisés et accidentels, des réacteurs. L’UNSCEAR ne devrait pas être chargés d’évaluer leurs risques pour la santé, mission qui appartient à l’OMS.
5. Les décisions concernant l’impact sanitaire, négligible ou non, de l’utilisation de terres agricoles, de nourriture et d’eau contaminées, ainsi que celui du relogement des réfugiés devrait être confiées à l’OMS.
6. Les recherches sur l’emprisonnement de scientifiques et médecins qui ont travaillé pour la santé publique dans le domaine de l’exposition aux rayonnements, devraient être être entreprises par un rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’Homme à Genève.
— Rosalie Bertell