Les Skoptzy, la secte russe des castrats
conférence de l'A.M.E, au 4ème Symposium International sur les Mutilations Sexuelles.
Des sectes chrétiennes ont pratiqué la mutilation sexuelle incluant l'amputation partielle ou totale des testicules ou du pénis. Voici une secte russe qui commença cette pratique en 1757 et qui existe encore aujourd'hui dans ce pays. Ses idéologues promettaient aux convertis la rédemption après cette mutilation. Mais la véritable motivation des intégristes religieux pour la castration est que la sexualité entraîne obligatoirement la damnation. Les "théologiens" de la circoncision ont employé des raisonnements similaires.
L'amputation partielle ou totale des organes sexuels est une ancienne pratique qui n'est pas limitée au judaïsme ou à l'islam. Bien que le dogme chrétien soit officiellement opposé aux mutilations sexuelles telles que la circoncision ou la castration, une variété de mouvements religieux liés au christianisme ont imité l'auto-mutilation pratiquée par Origène, l'un des premiers Pères de l'Eglise. Le fait que l'on puisse trouver 72 eunuques dans la liste des saints chrétiens indique la place singulière de la castration dans le christianisme antique.
Au 3ème siècle, Valesius fonda la première communauté chrétienne des castrats suivant l'idée que plus le corps souffre et plus l'âme s'élève. La castration chrétienne s'exporta rapidement hors de l'empire byzantin. En Italie jusqu'à la fin du 18ème siècle, quelques 4000 garçons furent émasculés chaque année (avec la bénédiction du pape) afin d'alimenter les chorales en castrats. Aujourd'hui on trouve encore dans quelques villages siciliens, d'antiques enseignes portant la mention : "Ici on coupe les garçons pour un prix modique." Malgré l'universalité de la castration, la Russie reste la Mère-Patrie pour cette mutilation.
Durant le 18ème siècle, un profond mouvement mystique a traversé l'empire russe. En 1757, André Ivanov, membre dissident de la secte des "flagellants", fonda la secte des "Skoptzy", les castrats. Il baptisa sa nouvelle église en se castrant lui-même et 13 de ses disciples. Quelques temps après, Ivanov fût arrêté par les autorités et mourut en Sibérie.
Au lieu d'abattre ce nouveau mouvement, le martyr d'Ivanov servit de ferment à ses admirateurs et à ses prosélytes. La secte déclara que Kondrati Selivanov, l'un de ses treize disciples, était le nouveau Christ descendu sur la Terre. Sous son règne, la communauté prospéra. Ses admirateurs traversaient la Russie en propageant ce message simple : "Tout le monde peut-être tsar par cette conversion". En 1770 Selivanov trouva une audience importante et put prêcher sa doctrine à Saint-Pétersbourg. Il devint le protégé de la baronne de Krudener, maîtresse du Tsar, qui le considérait comme un très saint homme.
Au milieu du 19ème siècle, les autorités russes comptabilisèrent 10 000 castrats. Les convertis se retrouvaient dans toutes les classes sociales, gagnant parfois beaucoup d'argent en tant que financier mais la majorité restait servile ce qui en faisait la proie d'une exploitation sans faille. La majorité des adeptes venait de l'église orthodoxe mais on trouvait aussi des catholiques, des protestants ou des juifs. Les membres de la secte évitaient de rompre avec l'église orthodoxe. Afin de passer inaperçus, ils en devenaient même de forts zélés et dévots serviteurs. La vie austère des castrats associée à leur dévotion à l'argent en plaça beaucoup dans des milieux favorisés. Un des plus en vue fut certainement Mr Elensky qui atteint la position de Ministre-Chambellan du Tsar Alexandre I. En 1804 Elensky proposa même au Tsar un plan pour convertir l'empire russe en un empire de castrats. Mais l'Empereur fut peu convaincu puisque, quelques années plus tard, il décréta leur déportation massive vers les mines.
En 1859, trois jeunes gens de bonne famille moururent à la suite de rites initiatiques à Saint-Pétersbourg. L'opinion publique s'en prit violemment aux castrats de la ville ce qui obligea ces derniers à trouver refuge en Roumanie où la liberté du culte était totale.
Les castrats rejetaient fondamentalement les dogmes de l'église orthodoxe, ainsi celui sur la rédemption du Christ. Ils étaient persuadés que leur gourou Selivanov était le véritable Messie envoyé par Dieu pour apprendre au monde le principe de la mutilation sexuelle pour la rédemption du genre humain.
En Russie, les castrats unis par la même mutilation travaillèrent à ramener de nouveaux membres et à influencer le pouvoir en faveur de leur propagande et de leurs rites. Ils offraient leur patrimoine à la communauté, appelée "Nef", et trouvèrent de nouveaux membres dans la classe moyenne. Les ouvriers employés dans les usines appartenant à des chefs de la secte devaient se résoudre à manger végétarien, à ne pas boire de l'alcool et à accepter la castration. La mutilation sexuelle imposée aux ouvriers les empêchait de quitter le mouvement.
Plusieurs étapes devaient jalonner la vie des Skoptzy. Après le mariage et la naissance du deuxième enfant, les hommes devaient se soumettre au rite de la castration.
La première étape de l'initiation était appelée la première purification ou petite marque. Initialement elle était faite en brûlant les testicules aux fers rouges mais cette technique sembla trop cruelle. On coupa donc au couteau ou au rasoir les testicules et le scrotum. Pour eux, les testicules étaient considérées comme les clés de l'enfer et leur amputation donnait le droit aux initiés de "chevaucher le cheval royal."
La deuxième étape de l'initiation appelée grand sceau, sceau impérial ou simplement seconde purification impliquait l'amputation du pénis. Elle intervenait deux ans après l'amputation des testicules. Le pénis était coupé avec des ciseaux, un petit couteau, une pièce métallique ou une hachette sans beaucoup de cérémonie, bien que le rite soit fréquemment suivi de danses rituelles. L'hémorragie était stoppée par de la glace ou de la résine et l'urètre était sauvegardé par une tige artisanale.
Dans la théologie des castrats, le pénis représentait la clé des abysses. L'amputation du pénis donnait aux initiés le droit de monter "le cheval blanc de l'apocalypse" et de se sauver des flammes de l'enfer. Après l'émasculation, le novice était enfin admis dans la secte. Habillé d'une longue toge blanche, l'adepte récitait cette formule : "Je jure d'endurer la torture, l'exil, la fièvre, le fer ou le cachot plutôt que de livrer mon secret à l'ennemi".
Enfin il recevait un cierge pour signaler son statut de membre à part entière de la secte.
Pour les femmes, le premier rite de la mutilation impliquait l'amputation des tétons. Cette mutilation était appelée le petit sceau. Le grand sceau s'illustrait par l'ablation totale de la poitrine
l'ablation des petites lèvres et parfois l'ablation des grandes lèvres et du clitoris.
Quelques uns se soumettaient à une troisième purification qui consistait à couper un triangle de chair dans le muscle de la poitrine. La troisième étape conduisait, par des hurlements et des sauts, à un état de transe. Toutes ces mutilations représentaient les cinq blessures du Christ. A la fin du 18ème siècle, les prosélytes de la secte citèrent souvent l'écrivain allemand Jacob Böhme, très populaire à l'époque dans l'intelligentsia russe : "la seule différence entre un homme et un ange est l'absence des organes sexuels."
Persécutés constamment par les autorités, les castrats qui étaient arrêtés n'avouaient jamais appartenir à cette secte et ne révélaient jamais le nom de leur castrateur. Leurs méthodes de recrutement étaient d'une simplicité évangélique :
1. castration d'enfants
2. asservissement économique
3. castration rémunérée
4. diffusion de textes bibliques qui appellent à la castration
5. embauche de gens pauvres ou d'enfants sans famille pour les faire castrer plus tard
6. utilisation de jeunes hommes et femmes mutilés pour attirer la jeunesse.
Au milieu du 19ème siècle, les autorités russes décidèrent de les exiler en Sibérie. L'article 197 du code pénal tsariste punissait de déportation les hérétiques sans faire mention d'une quelconque mutilation sexuelle.
L'article 201, crée quelques années plus tard, fut plus explicite : l'auto-castration était punie par la relégation à perpétuité en Sibérie. La sentence pour les castrateurs était de 6 ans de travaux forcés.
En novembre 1905, les Skoptzy furent autorisés à revenir sur le territoire russe mais en 1910, 142 castrats furent arrêtés et à nouveau déportés.
Après la révolution bolchévique de 1917, l'article 123 du nouveau code pénal remplaça l'article 197 contre les pratiques hérétiques. Cette loi servit lors des grands procès anti-religieux de la fin des années 20 et du début des années 30.
La mutilation sexuelle fut réprimée suivant l'article 142 du nouveau code. En mai 1929, des membres de la secte furent jugés par le tribunal de Léningrad dans le plus grand procès qui fut jamais organisé contre cette communauté. 150 membres furent condamnés à la déportation.
Enfin l'état soviétique prit des mesures d'urgence contre les derniers prosélytes :
1. établissement d'une liste de castrats connus et leur mise sous haute surveillance
2. mesures administratives pour isoler du reste de la population les castrats fanatiques, les diffuseurs du culte et les castrateurs.
Vladimir Bontch-Brouïévitch (1873-1955), leader bolchevique et spécialiste des sectes mystiques, écrivait en 1928 :
"Il me semble qu'il est temps au 20ème siècle d'arrêter la propagande en faveur de toutes sortes de mutilations soi-disant par motivation religieuse car les circonstances qui ont suscitées ces idées, ont à présent disparu. A leur place, il y a tant de choses indispensables pour lesquelles il serait nécessaire de dépenser toutes les énergies, les forces et la volonté au lieu de pousser les gens dans un "royaume des cieux" castrateur. Ces méthodes ont été inventées par des gens incultes. Tout ceci doit changer."
L'éradication des Skoptzy fut difficile à mener. A la fin de l'année 1931, le journal "Sans dieu" écrivait en première page : "Purgez Moscou de l'infection des castrats".
Un ethnologue retrouva même en 1970 dans la région de Tambov en Crimée et dans le Caucase du Nord une centaine de castrats. Aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, le domicile où Selivanov vécut 18 années existe toujours dans le passage Kovenski : on y trouve une maison de jeunes...
Bibliographie
Volkov N. Skopcestvo i sterilizacija ; istoricheskii ocherk. Izd-vo Akademii nauk SSSR, Moscou, 1937.
Von Stein F. Die Skopzensekte in Russland, in ihrer Entstehung, Organisation und lehre. Zeitschrift fur Ethnologie, n 7, 1875.
Rappaport I. Introduction à la psychopathologie collective : la secte mystique des skoptzy. Paris, 1945.
Salomoni A. Tolstoj e le skopcestvo. Asmodeo, n 1, Florence, 1989.
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