EXTRAITS
DE L'ENCYCLIQUE "PASCENDI DOMINICI GREGIS" (1907)
1.
À la mission qui Nous a été confiée
d'en haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus-Christ
a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux
le dépôt traditionnel de la foi, à l'encontre
des profanes nouveautés de langage comme des contradictions
de la fausse science. Nul âge, sans doute, où une telle
vigilance ne fut nécessaire au peuple chrétien : car
il n'a jamais manqué, suscités par l'ennemi du genre
humain, d'hommes au langage pervers , diseurs de nouveautés
et séducteurs (2), sujets de l'erreur et entraînant
à l'erreur . Mais, il faut bien le reconnaître, le
nombre s'est accru étrangement, en ces derniers temps, des
ennemis de la Croix de Jésus-Christ qui, avec un art tout
nouveau et souverainement perfide, s'efforcent d'annuler les vitales
énergies de l'Église, et même, s'ils le pouvaient,
de renverser de fond en comble le règne de Jésus-Christ.
Nous taire n'est plus de mise, si Nous voulons ne point paraître
infidèle au plus sacré de Nos devoirs, et que la bonté
dont Nous avons usé jusqu'ici, dans un espoir d'amendement,
ne soit taxée d'oubli de Notre charge.
2.
Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c'est
que, les artisans d'erreurs, il n'y a pas à les chercher
aujourd'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent
et c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très
vives, dans le sein même et au coeur de l'Église [
.].
3
Ennemis de l'Église, certes ils le sont, et à dire
qu'elle n'en a pas de pires on ne s'écarte pas du vrai. Ce
n'est pas du dehors, en effet, on l'a déjà noté,
c'est du dedans qu'ils trament sa ruine ; le danger est aujourd'hui
presque aux entrailles mêmes et aux veines de l'Église
; leurs coups sont d'autant plus sûrs qu'ils savent mieux
où la frapper. Ajoutez que ce n'est point aux rameaux ou
aux rejetons qu'ils ont mis la cognée, mais à la racine
même, c'est-à-dire à la foi et à ses
fibres les plus profondes. Puis, cette racine d'immortelle vie une
fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler
le virus par tout l'arbre : nulle partie de la foi catholique qui
reste à l'abri de leur main, nulle qu'ils ne fassent tout
pour corrompre. Et tandis qu'ils poursuivent par mille chemins leur
dessein néfaste, rien de si insidieux, de si perfide que
leur tactique : amalgamant en eux le rationaliste et le catholique,
ils le font avec un tel raffinement d'habileté qu'ils abusent
facilement les esprits mal avertis.
13
Ainsi est ouverte la voie à la variation substantielle des
dogmes. Amoncellement infini de sophismes, où toute religion
trouve son arrêt de mort.
14.
Évoluer et changer, non seulement le dogme le peut, il le
doit : c'est ce que les modernistes affirment hautement et qui d'ailleurs
découle manifestement de leurs principes
.
Aveugles et conducteurs d'aveugles qui, enflés d'une science
orgueilleuse, en sont venus à cette folie de pervertir l'éternelle
notion de la vérité, en même temps que la véritable
nature du sentiment religieux, inventeurs d'un système où
on les voit, sous l'empire d'un amour aveugle et effréné
de nouveauté, ne se préoccuper aucunement de trouver
un point d'appui solide à la vérité, mais,
méprisant les saintes et apostoliques traditions, embrasser
d'autres doctrines vaines, futiles, incertaines, condamnées
par l'Église, sur lesquelles, hommes très vains eux-mêmes,
ils prétendent appuyer et asseoir la vérité.
18.
Au point où nous en sommes, Vénérables Frères,
nous avons plus qu'il ne faut pour nous faire une idée exacte
des rapports qu'ils établissent entre la foi et la science,
entendant aussi sous ce dernier mot l'histoire.
En premier lieu, leurs objets sont totalement étrangers entre
eux, l'un en dehors de l'autre. Celui de la foi est justement ce
que la science déclare lui être à elle-même
inconnaissable. De là un champ tout divers : la science est
toute aux phénomènes, la foi n'a rien à y voir
; la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science.
D'où l'on conclut enfin qu'entre la science et la foi il
n'y a point de conflit possible ; qu'elles restent chacune chez
elle, et elles ne pourront jamais se rencontrer ni, partant, se
contredire.
Que si l'on objecte à cela qu'il est certaines choses de
la nature visible qui relèvent aussi de la foi, par exemple
la vie humaine de Jésus-Christ, ils le nieront.
19
À la science, donc, à la philosophie de connaître
de l'idée de Dieu, de la guider dans son évolution
et, s'il venait à s'y mêler quelque élément
étranger, de la corriger. D'où cette maxime des modernistes
que l'évolution religieuse doit se coordonner à l'évolution
intellectuelle et morale, ou, pour mieux dire, et selon le mot d'un
de leurs maîtres, s'y subordonner. - Enfin, l'homme ne souffre
point en soi de dualisme : aussi le croyant est-il stimulé
par un besoin intime de synthèse à tellement harmoniser
entre elles la science et la foi, que celle-ci ne contredise jamais
à la conception générale que celle-là
se fait de l'univers. Ainsi donc, vis-à-vis de la foi, liberté
totale de la science ; au contraire, et nonobstant qu'on les ait
données pour étrangères l'une à l'autre,
à la science asservissement de la foi.
Toutes choses, Vénérables Frères, qui sont
en opposition formelle avec les enseignements de Notre prédécesseur
Pie IX. Il écrivait, en effet, qu'il est de la philosophie,
en tout ce qui regarde la religion, non de commander mais d'obéir,
non de prescrire ce qui est à croire, mais de l'embrasser
avec une soumission que la raison éclaire, de ne point scruter
les profondeurs des mystères de Dieu mais de les révérer
en toute piété et humilité. Les modernistes
renversent cet ordre, et méritent qu'on leur applique ce
que Grégoire IX, un autre de Nos prédécesseurs,
écrivait de certains théologiens de son temps : Il
en est parmi vous, gonflés d'esprit de vanité ainsi
que des outres, qui s'efforcent de
déplacer, par des nouveautés profanes, les bornes
qu'ont fixées les Pères ; qui plient les Saintes Lettres
aux doctrines de la philosophie rationnelle, par pure ostentation
de science, sans viser à aucun profit des auditeurs... ;
qui, séduits par d'insolites et bizarres doctrines, mettent
queue en tête et à la servante assujettissent la reine.
20.
Ce qui jettera plus de jour encore sur ces doctrines des modernistes,
c'est leur conduite, qui y est pleinement conséquente. À
les entendre, à les lire, on serait tenté de croire
qu'ils tombent en contradiction avec eux-mêmes, qu'ils sont
oscillants et incertains. Loin de là : tout est pesé,
tout est voulu chez eux, mais à la lumière de ce principe
que la foi et la science sont l'une à l'autre étrangères.
Telle page de leur ouvrage pourrait être signée par
un catholique : tournez la page, vous croyez lire un rationaliste.
Écrivent-ils histoire : nulle mention de la divinité
de Jésus-Christ : montent-ils dans la chaire sacrée,
ils la proclament hautement. Historiens, ils dédaignent Pères
et Conciles : catéchistes, ils les citent avec honneur. Si
vous y prenez garde, il y a pour eux deux exégèses
fort distinctes : l'exégèse théologique et
pastorale, l'exégèse scientifique et historique. -
De même, en vertu de ce principe que la science ne relève
à aucun titre de la foi, s'ils dissertent de philosophie,
d'histoire, de critique, ils affichent en mille manières
- n'ayant pas horreur de marcher en cela sur les traces de Luther
(11) - leur mépris des enseignements catholiques, des saints
Pères, des Conciles oecuméniques, du magistère
ecclésiastique ; réprimandés sur ce point,
ils jettent les hauts cris, se plaignant amèrement qu'on
viole leur liberté. Enfin, vu que la foi est subordonnée
à la science, ils reprennent l'Église - ouvertement
et en toute rencontre - de ce qu'elle s'obstine à ne point
assujettir et accommoder les dogmes aux opinions des philosophes
; quant à eux, après avoir fait table rase de l'antique
théologie, ils s'efforcent d'en introduire une autre, complaisante
celle-ci, aux divagations de ces mêmes philosophes.
38.
Ainsi, Vénérables Frères, la doctrine des modernistes,
comme l'objet de leurs efforts, c'est qu'il n'y ait rien de stable,
rien d'immuable dans l'Église. Ils ont eu des précurseurs,
ceux dont Pie IX, Notre prédécesseur, écrivait
: Ces ennemis de la révélation divine exaltent le
progrès humain et prétendent, avec une témérité
et une audace vraiment sacrilèges, l'introduire dans la religion
catholique, comme si cette religion n'était pas l'oeuvre
de Dieu, mais l'oeuvre des hommes, une invention philosophique quelconque,
susceptible de perfectionnements humains . - Sur la révélation
et le dogme, en particulier, la doctrine des modernistes n'offre
rien de nouveau : nous la trouvons condamnée dans le Syllabus
de Pie IX, où elle est énoncée en ces termes
: La révélation divine est imparfaite, sujette par
conséquent à un progrès continu et indéfini,
en rapport avec .le progrès de la raison humaine; plus solennellement
encore, dans le Concile du Vatican : La doctrine de loi que Dieu
a révélée n'a pas été proposée
aux intelligences comme une intention philosophique qu'elles eussent
à perfectionner, mais elle a été confiée
comme un dépôt divin à l'Épouse de Jésus-Christ
pour être par elle fidèlement gardée et infailliblement
interprétée. C'est pourquoi aussi le sens des dogmes
doit être retenu tel que notre Sainte Mère l'Église
l'a une fois défini, et il ne faut jamais s'écarter
de ce sens, sous le prétexte et le nom d'une plus profonde
intelligence. Par là, et même en matière de
foi, le développement de nos connaissances, loin d'être
contrarié, est secondé au contraire et favorisé.
C'est pourquoi le Concile du Vatican poursuit : Que l'intelligence,
que la science, que la sagesse croisse et progresse, d'un mouvement
vigoureux et intense, en chacun comme en tous, dans le fidèle
comme dans toute l'Église, d'âge en âge, de siècle
en siècle : mais seulement dans son genre, c'est-à-dire
selon le même dogme, le même sens, la même acception.
43
Ces hommes-là nous font véritablement compassion ;
d'eux l'Apôtre dirait : Ils se sont évanouis dans leurs
pensées... : se disant sages, ils sont tombés en démence.
Mais où ils soulèvent le coeur d'indignation, c'est
quand ils accusent l'Église de torturer les textes, de les
arranger et de les amalgamer à sa guise pour les besoins
de sa cause. Simplement, ils attribuent à l'Église
ce qu'ils doivent sentir que leur reproche très nettement
leur conscience.
44.
De cet échelonnement, de cet éparpillement le long
des siècles, il suit tout naturellement que les Livres Saints
ne sauraient plus être attribués aux auteurs dont ils
portent le nom.
Qu'à cela ne tienne ! Ils n'hésitent pas à
affirmer couramment que les livres en question, surtout le Pentateuque
et les trois premiers Évangiles, se sont formés lentement
d'adjonctions faites à une narration primitive fort brève
: interpolations par manière d'interprétations théologiques
ou allégoriques, ou simplement transitions et sutures.
C'est que, pour dire la chose d'un mot, il y a à reconnaître
dans les Livres Sacrés une évolution vitale, parallèle
et même conséquente à l'évolution de
la foi.
Aussi bien, ajoutent-ils, les traces de cette évolution y
sont si visibles qu'on en pourrait quasiment écrire l'histoire.
Ils l'écrivent, cette histoire, et si imperturbablement que
vous diriez qu'ils ont vu de leurs yeux les écrivains à
l'oeuvre, alors que, le long des âges, ils travaillaient à
amplifier les Livres Saints.
45.
La critique textuelle vient à la rescousse : pour confirmer
cette histoire du texte sacré, ils s'évertuent à
montrer que tel fait, que telle parole n'y est point à sa
place, ajoutant d'autres critiques du même acabit. Vous croiriez,
en vérité, qu'ils se sont construit certains types
de narrations et de discours sur lesquels ils jugent ce qui est
ou ce qui n'est pas déplacé. Et combien ils sont aptes
à ce genre de critique ! À les entendre vous parler
de leurs travaux sur les Livres Sacrés, grâce auxquels
ils ont pu découvrir en ceux-ci tant de choses défectueuses,
il semblerait vraiment que nul homme avant eux ne les a feuilletés,
qu'il n'y a pas eu à les fouiller en tous sens une multitude
de docteurs infiniment supérieurs à eux en génie,
en érudition, en sainteté ; lesquels docteurs, bien
loin d'y trouver à redire, redoublaient au contraire, à
mesure qu'ils les scrutaient plus profondément, d'actions
de grâce à la bonté divine, qui avait daigné
de la sorte parler aux hommes. C'est que, malheureusement, ils n'avaient
pas les mêmes auxiliaires d'études que les modernistes,
savoir, comme guide et règle, une philosophie venue de l'agnosticisme,
et comme critérium eux-mêmes. Il Nous semble avoir
exposé assez clairement la méthode historique des
modernistes. Le philosophe ouvre la marche ; suit l'historien ;
puis, par ordre, la critique interne et la critique textuelle. Et
comme le propre de la cause première est de laisser sa vertu
dans tout ce qui suit, il est de toute évidence que nous
ne sommes pas ici en face d'une critique quelconque, mais bien agnostique,
immanentiste, évolutionniste. C'est pourquoi quiconque l'embrasse
et l'emploie fait profession par là même d'accepter
les erreurs qui y sont impliquées et se met en opposition
avec la foi catholique
46.
S'il en est ainsi, on ne peut être qu'étrangement surpris
de la valeur que lui prêtent certains catholiques. À
cela il y a deux causes : d'une part, l'alliance étroite
qu'ont faite entre eux les historiens et les critiques de cette
école, au-dessus de toutes les diversités de nationalité
et de religion ; d'autre part, chez ces mêmes hommes, une
audace sans bornes : que l'un d'entre eux ouvre les lèvres,
les autres d'une même voix l'applaudissent, en criant au progrès
de la science ; quelqu'un a-t-il le malheur de critiquer l'une ou
l'autre de leurs nouveautés, pour monstrueuse qu'elle soit,
en rangs serrés, ils fondent sur lui ; qui la nie est traité
d'ignorant, qui l'embrasse et la défend est porté
aux nues. Abusés par là, beaucoup vont à ceux
qui, s'ils se rendaient compte des choses, reculeraient d'horreur.
À la faveur de l'audace et de la prépotence des uns,
de la légèreté et de l'imprudence des autres,
il s'est formé comme une atmosphère pestilentielle
qui gagne tout, pénètre tout et propage la contagion.
49
Ils vont même, et non sans une sorte de plaisir mal dissimulé,
jusqu'à proclamer hautement que le dogme - ils l'ont constaté
- n'est pas exempt d'erreurs et de contradictions. Ils ajoutent
aussitôt, il est vrai, que tout cela est non seulement excusable,
mais encore - étrange chose, en vérité ! -
juste et légitime. Dans les Livres Sacrés, il y a
maints endroits touchant à la science ou à l'histoire,
où se constatent des erreurs manifestes.
Mais ce n'est pas d'histoire ni de science que ces livres traitent
; c'est uniquement de religion et de morale. L'histoire et la science
n'y sont que des sortes d'involucres, où les expériences
religieuses et morales s'enveloppent, pour pénétrer
plus facilement dans les masses. Si, en effet, les masses n'entendaient
pas autrement les choses, il est clair qu'une science et une histoire
plus parfaites eussent été d'obstacle plutôt
que de secours. [...]
Au
surplus, les Livres Saints, étant essentiellement religieux,
sont par là même nécessairement vivants. Or,
la vie a sa vérité et sa logique propres, bien différentes
de la vérité et de la logique rationnelles, d'un autre
ordre, savoir, vérité d'adaptation et de proportion
soit avec le milieu où se déroule la vie, soit avec
la fin où elle tend.
Enfin, ils poussent si loin les choses que, perdant toute mesure,
ils en viennent à déclarer ce qui s'explique par la
vie vrai et légitime. Nous, Vénérables Frères,
pour qui il n'existe qu'une seule et unique vérité,
et qui tenons que les Saints Livres, écrits sous l'inspiration
du Saint-Esprit, ont Dieu pour auteur , Nous affirmons que cela
équivaut à prêter à Dieu lui-même
le mensonge d'utilité ou mensonge officieux, et Nous disons
avec saint Augustin : En une autorité si haute, admettez
un seul mensonge officieux, il ne restera plus parcelle de ces Livres,
dès qu'elle paraîtra difficile ou à pratiquer
ou à croire, dans laquelle il ne soit loisible de voir un
mensonge de l'auteur, voulu à dessein en vue d'un but . Et
ainsi il arrivera, poursuit le saint Docteur, que chacun croira
ce qu'il voudra, ne croira pas ce qu'il ne voudra pas. - Mais les
nouveaux apologistes vont de l'avant, fort allègrement. Ils
accordent encore que, dans les Saints Livres, certains raisonnements,
allégués pour justifier telle ou telle doctrine, ne
reposent sur aucun fondement rationnel, ceux, par exemple, qui s'appuient
sur les prophéties. Ils ne sont d'ailleurs nullement embarrassés
pour les défendre : artifices de prédication, disent-ils,
légitimés par la vie.
51
.
Telle est, Vénérables Frères, rapidement esquissée,
la méthode apologétique des modernistes, en parfaite
concordance, on le voit, avec leurs doctrines, méthode et
doctrines semées d'erreurs, faites non pour édifier
mais pour détruire, non pour susciter des catholiques mais
pour précipiter les catholiques à l'hérésie,
mortelles même à toute religion.
53.
Quelqu'un pensera peut-être, Vénérables Frères,
que cette exposition des doctrines des modernistes Nous a retenu
trop longtemps. Elle était pourtant nécessaire, soit
pour parer à leur reproche coutumier, que Nous ignorerions
leurs vraies idées, soit pour montrer que leur système
ne consiste pas en théories éparses et sans lien,
mais bien en un corps parfaitement organisé, dont les parties
sont si bien solidaires entre elles qu'on n'en peut admettre une
sans les admettre toutes. C'est pour cela aussi que Nous avons dû
donner à cette exposition un tour quelque peu didactique,
sans avoir peur de certains vocables barbares en usage chez eux.
Maintenant, embrassant d'un seul regard tout le système,
qui pourra s'étonner que Nous le définissions le rendez-vous
de toutes les hérésies ? Si quelqu'un s'était
donné la tâche de recueillir toutes les erreurs qui
furent jamais contre la foi et d'en concentrer la substance et comme
le suc en une seule, véritablement il n'eût pas mieux
réussi. Ce n'est pas encore assez dire : ils ne ruinent pas
seulement la religion catholique, mais, comme Nous l'avons déjà
insinué, toute religion.
55
Que reste-t-il donc, sinon l'anéantissement de toute religion
et l'athéisme ? - Ce n'est certes pas la doctrine du symbolisme
qui pourra le conjurer. Car si tous les éléments,
dans la religion, ne sont que de purs symboles de Dieu, pourquoi
le nom même de Dieu, le nom de personnalité divine
ne seraient-ils pas aussi de purs symboles ? Cela admis, voilà
la personnalité de Dieu mise en question et la voie ouverte
au panthéisme. - Au panthéisme, mais cette autre doctrine
de l'immanence divine y conduit tout droit. Car Nous demandons si
elle laisse Dieu distinct de l'homme ou non : si distinct, en quoi
diffère-t-elle de la doctrine catholique et de quel droit
rejeter la révélation extérieure ? Si non distinct,
nous voilà en plein panthéisme. Or, la doctrine de
l'immanence, au sens moderniste, tient et professe que tout phénomène
de conscience est issu de l'homme en tant qu'homme. La conclusion
rigoureuse c'est l'identité de l'homme et de Dieu, c'est-à-dire
le panthéisme.
La même conclusion découle de la distinction qu'ils
posent entre la science et la foi.
L'objet de la science, c'est la réalité du connaissable
; l'objet de la foi, au contraire, la réalité de l'inconnaissable.
Or, ce qui fait l'inconnaissable, c'est sa disproportion avec l'intelligence,
disproportion que rien au monde, même dans la doctrine des
modernistes, ne peut faire disparaître. Par conséquent,
l'inconnaissable reste et restera éternellement inconnaissable,
autant au croyant qu'à l'homme de la science. La religion
d'une réalité inconnaissable, voilà donc la
seule possible. Et pourquoi cette réalité ne serait-elle
pas l'âme universelle du monde dont parle tel rationaliste,
c'est ce que Nous ne voyons pas. - Voilà qui suffit, et surabondamment,
pour montrer par combien de routes le modernisme conduit à
l'anéantissement de toute religion. Le premier pas fut fait
par le protestantisme, le second est fait par le modernisme, le
prochain précipitera dans l'athéisme.
61.
Mais ceci appartient déjà aux artifices employés
par les modernistes pour leurs produits. Que ne mettent-ils pas
en oeuvre pour se créer de nouveaux partisans ! Ils s'emparent
de chaires dans les Séminaires, dans les Universités,
et les transforment en chaires de pestilence. Déguisées
peut-être, ils sèment leurs doctrines de la chaire
sacrée ; ils les professent ouvertement dans les Congrès
; ils les font pénétrer et les mettent en vogue dans
les institutions sociales. Sous leur propre nom, sous des pseudonymes,
ils publient livres, journaux, revues. Le même multipliera
ses pseudonymes, pour mieux tromper, par la multitude simulée
des auteurs, le lecteur imprudent. En un mot, action, discours,
écrits, il n'est rien qu'ils ne mettent en jeu, et véritablement
vous les diriez saisis d'une sorte de frénésie. Le
fruit de tout cela ? Notre coeur se serre à voir tant de
jeunes gens, qui étaient l'espoir de l'Église et à
qui ils promettaient de si bons services, absolument dévoyés.
65.
Quant aux études profanes, il suffira de rappeler ce qu'en
a dit fort sagement Notre Prédécesseur : Appliquez-vous
avec ardeur à l'étude des sciences naturelles : les
géniales découvertes, les applications hardies et
utiles faites de nos jours sur ce terrain, qui provoquent à
juste titre les applaudissements des contemporains, seront aussi
à la postérité un sujet d'admiration et de
louanges (26). Mais les études sacrées n'en doivent
pas souffrir. Sur quoi le même Pape donne tout aussitôt
le grave avertissement que voici : Si l'on recherche avec soin la
cause de ces erreurs, on la trouvera surtout en ceci : que plus
s'est accrue l'ardeur pour les sciences naturelles, plus les hautes
sciences, les sciences sévères sont allées
déclinant ; il en est qui languissent dans l'oubli ; certaines
autres sont traitées faiblement et à la légère,
et, ce qui est indigne, déchues de leur antique splendeur,
on les infecte encore de doctrines perverses et d'opinions dont
la monstruosité épouvante. Sur cette loi, Nous ordonnons
que l'on règle dans les Séminaires l'étude
des sciences naturelles.
68.
Il est encore du devoir des évêques, en ce qui regarde
les droits entachés de modernisme et propagateurs de modernisme,
d'en empêcher la publication, et, publiés, d'en entraver
la lecture. - Que tous les livres, journaux, revues de cette nature,
ne soient pas laissés aux mains des élèves,
dans les Séminaires ou dans les Universités : ils
ne sont pas, en effet, moins pernicieux que les écrits contre
les bonnes moeurs, ils le sont même davantage, car ils empoisonnent
la vie chrétienne dans sa source..
69.
Généralement, Vénérables Frères,
et c'est ici le point capital, faites tout au monde pour bannir
de votre diocèse tout livre pernicieux, recourant, pour cela,
s'il en est besoin, à l'interdiction solennelle. Le Saint-Siège
ne néglige rien pour faire disparaître les écrits
de cette nature ; mais le nombre en est tel aujourd'hui que les
censurer tous est au-dessus de ses forces. La conséquence,
c'est que le remède vient quelquefois trop tard, alors que
le mal a déjà fait ses ravages. Nous voulons donc
que les Évêques, méprisant toute crainte humaine,
foulant aux pieds toute prudence de la chair, sans égard
aux criailleries des méchants, suavement, sans doute, mais
fortement, prennent en ceci leur part de responsabilité,
se souvenant des prescriptions de Léon XIII, dans la Constitution
Apostolique Officiorum : Que les Ordinaires, même comme délégués
du Siège Apostolique, s'efforcent de proscrire les livres
et autres écrits mauvais, publiés ou répandus
dans leurs diocèses, et de les arracher des mains des fidèles.
C'est un droit qui est conféré dans ces paroles, mais
aussi un devoir qui est imposé. Et que nul ne pense avoir
satisfait aux obligations de sa charge s'il Nous a déféré
un ou deux ouvrages et laissé les autres, en grand nombre,
se répandre et circuler.
73
Nous décrétons donc que dans chaque diocèse
un Conseil de ce genre, qu'il Nous plaît de nommer Conseil
de vigilance, soit institué sans retard. Les prêtres
qui seront appelés à en faire partie seront choisis
à peu près comme il a été dit à
propos des censeurs. Ils se réuniront tous les deux mois,
à jour fixe, sous la présidence de l'évêque.
Sur les délibérations et les décisions, ils
seront tenus au secret. Leur rôle sera le suivant. Ils surveilleront
très attentivement et de très près tous les
indices, toutes les traces de modernisme dans les publications,
aussi bien que dans l'enseignement ; ils prendront, pour en préserver
le clergé et la jeunesse, des mesures prudentes, mais promptes
et efficaces. - Leur attention se fixera très particulièrement
sur la nouveauté des mots et ils se souviendront, à
ce sujet, de l'avertissement de Léon XIII : On ne peut approuver,
dans les écrits des catholiques, un langage qui, s'inspirant
d'un esprit de nouveauté condamnable, parait ridiculiser
la piété des fidèles, et parle d'ordre nouveau
de vie chrétienne, de nouvelles doctrines de l'Église,
de nouveaux besoins de l'âme chrétienne, de nouvelle
vocation sociale du clergé, de nouvelle humanité chrétienne,
et d'autres choses du même genre . Qu'ils ne souffrent pas
de ces choses-là dans les livres ni dans les cours des professeurs.
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