Laïcité
et Islam
Témoignage
de MERIEN MEHFOUZ - Association Fabula
Message
lu le 30 Novembre 2003 lors du Colloque International de la Laïcité
à Bordeaux, organisé par le Comité Laïcité
République
Bonjour,
je m'adresse à vous en tant que femme née musulmane
qui a vécu toute sa vie en terre d'Islam mais qui a découvert
la laïcité grâce à des contacts avec l'étranger.
Devenue incroyante et engagée - je ne suis pas une théoricienne
de la laïcité dont j'intègre depuis peu les subtilités
- et je souhaite non seulement la défendre là où
elle existe, la promouvoir, mais aussi l'exporter ailleurs.
Exporter
la laïcité « à la française »
Cette
idée expérimentée avec succès depuis
plus d'un siècle de reléguer la religion dans la sphère
privée et de préserver un espace de citoyenneté
pour le reste. Elle peut éventuellement être légèrement
adaptée pour d'autres sociétés, pourquoi pas,
mais elle doit impérativement irradier hors de l'hexagone.
Tolérance
zéro envers les agressions contre ses principes.
Si
la laïcité doit être légiférée
en France, si le non respect de ses principes doivent être
sanctionnés, et bien qu'ils le soient !
On ne peut tolérer le moindre recul de la laïcité
: le sort de millions de personnes, d'enfants et de femmes d'abord,
dans les générations à venir, en dépend.
Et hors de France surtout.
La France, la Tunisie et la Turquie sont déjà un observatoire
de la laïcité, avec de profondes différences
dans son application et la manière de la faire respecter
Des questions sanglantes sont soulevées.
Incroyante
et laïque, les croyances d'autrui dans le privé ne me
concernent pas, ni ne me dérangent, ni ne m'affectent ; mais
que dire des sanctions que j'encours si je m'avançais à
critiquer ouvertement - non pas le droit de croire - mais ces idéaux
eux-mêmes, dans mon pays d'origine ?
Et que dire si j'osais rire ou pleurer de ces croyances lorsqu'elles
débordent du privé ?
Mais pourquoi ne pourrais-je pas en rire, tout en étant une
fervente défenderesse de la laïcité ?
Que se passerait-il pour moi, en terre d'Islam, et ici, en pays
laïque ?
Là-bas ? La mise à tabac, le rejet total par la société
et la famille pour apostasie et autres crimes.
Ici ? Une sanction pour " injure à une communauté"
!
Serais-je
moi aussi islamophobe ? Moi, une arabe née musulmane ?
Mais
de quelle communauté parlons-nous ? De celle composée
de citoyens ou de celle dont je refuse de faire partie, celle de
la Oumma, répressive et sexiste ? A quelle communauté
j'appartiens si née musulmane sans autre alternative, mais
incroyante et vindicative de ma liberté d'aujourd'hui ?
On nage dans l'absurde avec ces qualificatifs, ces amalgames, ces
tentatives d'intimidation à peine voilées, qui ne
cherchent qu'à nous faire taire.
Ces appellations sont une insulte à ma dignité de
femme libre.
Islamophobe moi ? Pas vraiment, car je suis un peu victime de cette
islamophobie ; et en même temps, l'Islam me glace d'effroi.
Mais comme toute musulmane, j'ai appris à vivre avec cette
peur depuis mon enfance.
Simultanément
à la défense et à l'exportation de la laïcité,
on doit bien sûr s'attaquer à l'intégrisme,
et pas seulement en surface : il me semble aussi nécessaire
de revoir notre copie sur la manière dont nous communiquons
ce principe à certains groupes de gens, car certains raisonnements,
aussi valides, brillants, et universels qu'ils soient, tomberont
inéluctablement dans l'oreille d'un sourd.
L'idée
"d'émancipation" de la femme, de "réalisation"
de l'individu, paraissent totalement iniques et loufoques à
des gens au besoin d'appartenance si bien comblé par l'Islam,
à une communauté pour qui, même si plus ou moins
intégrée, l'émancipation de la femme passe
par sa soumission à Allah !!
L'argumentation sur "des valeurs républicaines",
qui ne sont pas universellement partagées, sera inefficace
chez un "bon" musulman Français s'identifiant avant
tout à la "Oumma". Pour lui, les valeurs de la
république qu'il revendique en tant que Français,
sont tout-à-fait secondaires.
Et ce qui semble bon à l'évidence à des gens
ayant hérité et intégré, issus du siècle
des lumières, ces idéaux de liberté et égalité,
ne paraîtra pas si évident à des personnes qui
ont surtout hérité, hélas, de valeurs coraniques.
Que
dire de ce même discours envers un leader religieux ? Envers
un représentant d'une organisation musulmane ? Des valeurs
humaines et universelles contre celles d'Allah... ?
Quelle plaisanterie pour ce maître du double langage, quelle
hérésie ! Ces leaders sont des techniciens de la rhétorique,
des experts de la manipulation.
L'intérêt de la laïcité pour le droit de
culte de sa communauté ? A égalité avec les
autres croyances ? Il le connaît mieux que quiconque cet intérêt,
il en a intégré les paramètres à sa
convenance et il s'en nourrit. Il les tournera à son avantage
pour affirmer les droits de sa chère communauté à
la ségrégation et au repli sur elle-même
Nous le constatons tous les jours.
Que
pensent-ils de cette laïcité, ces jeunes de banlieues
sinistrées ? Pas grand-chose... Ils la perçoivent
tout au plus comme "de la politique" pour politicards.
Il
faut trouver, en France d'abord, des mots et des raisons que tous
les jeunes comprendront et auxquels la jeunesse puisse s'identifier.
Car même si la laïcité, heureusement, va sans
doute être appliquée avec plus de vigueur à
l'avenir, cette expérience française pourra aussi
être exportable.
Je ne parle pas ici d'éducation, qui doit avoir une vision
universelle, mais je suggère simplement, et humblement, qu'une
réflexion sur la communication de la laïcité,
spécifiquement envers la jeunesse défavorisée,
soit considérée.
Eux la défendront à l'avenir.
Les
associations A.I.M.E. - association culturelle laïque
franco-tunisienne, et l'association Faire : le jour - pour
la défense des droits et des libertés - se sont proposées
pour une étroite collaboration avec nous pour différentes
actions en commun. Mais nous nous joindrons à toute coopération
pour la laïcité si l'on fait appel à nous.
Je
ne souhaite pas terminer par le sang du débat Islam-islamisme,
ni en réduisant l'islam à son courant intégriste.
Mais je souhaite que l'on se souvienne, en tant que citoyens désireux
de préserver le droit à pratiquer notre religion,
quelle qu'elle soit, à ne pas le faire, ou à ne pas
en avoir ; Que l'on se souvienne tout de même que ce n'est
pas l'islamisme qui préconise l'accomplissement des rites,
les obligations et les interdits, le foulard islamique, la succession,
le mariage, le divorce, les prières. Mais que c'est l'Islam
!
Et que ces valeurs sont très difficilement conciliables avec
un état égalitaire, car la première science
islamique est le droit et la jurisprudence.
Un droit et des obligations décrétées par Allah,
donc immuables, hors du temps, par-delà les sensibilités
et l'évolution des sociétés...
Sans cette jurisprudence, l'Islam n'est rien. La bête de l'intégrisme
s'exprime avec fracas par le terrorisme mais trouve sa légitimité
dans les pages du Coran : elle s'appelle Islam.
Je
ne suis pas aveugle, et je me dois de le souligner pour exprimer
toute l'espérance que je porte sur la laïcité.
La laïcité est le seul moyen que je connaisse pour empêcher
cette bête de nuire, en toute légalité et sans
affrontements ni effusion de sang.
Le
monde a un besoin urgent de laïcité
Meriem
E. Mehfouz
Associée Fabula
Contre
le communautarisme, l'intégrisme et l'obscurantisme
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