Le
dessein des Dieux?
Nouvelle
de Guy Dessauges
Dans
les temps très anciens, on savait toujours répondre
aux questions religieuses !
On savait les noms des dieux, ce qu'ils voulaient, leur puissance
exacte, leurs faiblesses, et l'endroit où se trouvaient leurs
temples, dont les dimensions variaient selon l'efficacité
de leurs services !
On leur attribuait les bénédictions et les malédictions...
Les prêtres en profitaient. Maintenant encore, leur expérience
est devenue étonnante...
A notre époque on peut faire croire n'importe quelle baliverne
aux gens, cela en relation avec leur bêtise, évidemment
! La crédulité populaire est toujours vivace... Aucun
changement depuis 6000 ans !... Voici une histoire édifiante
que je dois vous conter:
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Il était une fois, un brave homme pieux vivant pauvrement
dans un désert, avec une famille nombreuse et deux chèvres.
Ce brave homme pensait qu'il avait été oublié
de Dieu et que ce serait le moment de se faire remarquer!...
Il alla au temple, et fit une offrande, puis sûr d'être
entendu, il se mit à genoux, et adressa à Dieu, cette
prière timide: " Dieu tout puissant, créateur
des hommes et des cieux, je te demande humblement une aide efficace
et utile; pourrais-tu, dans ta puissance immense et ta générosité
infinie doubler mon troupeau de chèvres, c'est à dire
de deux, en faire quatre? "...
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Le
brave homme tremblait de tous ses membres, croyant avoir trop demandé...
Tout à coup, il entendit une voix, divine assurément,
qui lui dit au creux de l'oreille:
" Brave homme, ta prière me touche; mais je ne peux
rien faire pour toi; tu dois t'adresser au dieu des animaux; mais
je te remercie de tes offrandes, Salut mon pote! "
Le brave homme était impressionné! Il avait attiré
l'attention d'un dieu ... et en avait reçu une réponse
! Comme il était ruiné par les offrandes, il dut attendre
une année entière pour, avec ses maigres économies,
réunir les cadeaux pour le dieu des animaux !
Entre temps il avait reçu encore un enfant ( richesse du
pauvre...) Mais il avait trois chèvres ! Encouragé
par tant de chance, il décida d'offrir une chèvre
au dieu des animaux...
Il alla de nouveau dans le temple... celui-ci abritait plusieurs
dieux pour des raisons d'économie ! ... Il s'adressa au Dieu
à la tête de tigre... Après avoir disposé
ses offrandes, des biscuits secs et une chèvre, il se mit
à genoux et pria le Dieu :
" O Dieu des animaux, je t'offre toutes ces choses qui m'ont
coûté une année d'économies, pour que
tu m'aides, en doublant mes chèvres... six au lieu de trois
et aussi un chameau, si ce n'est pas trop demander ".
Le brave homme se tut, et attendit deux jours et trois nuits une
réponse. Puis épuisé, il finit par s'endormir.
Alors il fit un rêve :
Il était dans un palais, comme celui du sultan qu'il avait
vu au ciné il y a bien longtemps... Dans une grande salle,
il y avait une piscine olympique pleine de jolies Suédoises
à poil, blondes et potelées ; devant lui, une table
chargée de fruits et de fleurs et aussi de lokoums parfumés...
Une esclave lui massait les pieds ; une autre l'éventait
avec des plumes d'autruche comme aux Folies-Bergères ; des
eunuques au loin gardaient les portes du gynécée...
Il avait la bouche pleine de lokoums à la bergamote ; il
était gavé d'amour et de confitures comme Tartarin,
son café fumait devant lui ainsi que son narguilé
en verre de Murano... Incrusté d'or 24 carats...
Il était devenu sultan et se sentait comblé par les
bonnes choses de la vie de riche...
A cet instant, il vit apparaître devant lui le formidable
Dieu des animaux à tête de tigre...
" Puis-je m'asseoir ? " dit le dieu de sa voix
rugissante, et sans attendre la réponse il s'assit dans un
nuage de poudre de sucre et de plumes garanties pure oie des Shetlands
!
Le brave sultan virtuel, paralysé par la peur, restait la
bouche ouverte, dégoulinante de lokoum...
" Ferme ta bouche, dit le dieu à tête de
tigre, je ne vais pas te manger ! Je viens de dévorer
une suédoise, comme apéro, dans le massif de roses
devant ta porte!
Je voulais que tu regardes ce que tu pourrais demander, si tu étais
un peu plus exigeant !
Tout ce que tu vois, tu pourrais l'avoir, tu n'as qu'à demander!
Mais il y a des problèmes dans ce paquet cadeau. Pour garder
tout ça, tu devras te défendre contre tes ennemis,
te méfier de tout le monde, et même faire la guerre;
on n'a rien sans rien.
Tu vivras dans la peur d'être assassiné toi et les
tiens! Alors réfléchis bien, avant de faire tes demandes;
que ce soit une chèvre, un palais, une piscine olympique,
ou la paix de l'âme, les choses ne sont pas si simples ! "
Le brave homme reprit ses esprits, il se mit à genoux et
dans cette humble posture, répondit en ces termes:
" Ô Dieu des animaux! J'ai compris la leçon. Je
regrette de t'avoir demandé stupidement des chèvres
et même un chameau : je n'ai pas envie d'être assasiné,
ni de faire la guerre. Et, comme je n'ai qu'une queue, que faire
de tant de femmes jeunes et jolies ?.
Tu as raison; je te laisse la chèvre et tu peux garder le
chameau, je vais retourner dans le désert, et je ne te demanderai
plus rien " ...
A cet instant le pauvre homme se réveilla, tout avait disparu.
Il était toujours couché dans le froid de la nuit,
il était enkylosé, il l'avait échappé
belle...
Il avait perdu une chèvre, mais il était toujours
vivant. Il se leva et prit le chemin du désert, heureux de
n'avoir pas à faire la guerre ! En se réjouissant
de retrouver les siens.
Au bout de deux jours de marche, il arriva dans son bled plein de
sable et de rochers, Il n'en crut pas ses yeux ! Des fous de Dieu
avaient tout détruit, on ne lui avait rien laissé...
M ême pas son chien fidèle. Il s'assit sur les débris
de sa tente, entouré des restes déchiquetés
de sa famille... Il était devenu le plus pauvre des pauvres..
Il leva les yeux au ciel, il n'osait plus prier, il se dit que les
vues des dieux sont insondables dans l'univers glacial, et qu'il
était un bel imbécile de vouloir toujours plus et
encore plus. Mais au fond de lui-même il se demandait s'il
n'était pas exaucé dans un certain sens ; il n'avait
plus aucun souci ; il était libre comme l'air... Il n'avait
pour tout viatique que son libre-arbitre. Il était possible
que cela soit un don des dieux.
" C'est comme ça que je suis arrivé ici !
" dit le pauvre homme en me regardant dans les yeux. "
Tu vois je nettoie les chiottes de la gare du Nord, à Paris,
et je suis heureux de mon sort ! Si tu veux, tu peux me donner une
cigarette ". Je lui ai donné le paquet et suis sorti
du pissoir en me disant qu'on est peu de chose...
En
espérant que son dieu ne transformerait pas ce petit cadeau
en cancer de la prostate!
Sait-on jamais, Yahvé n'est pas mort!
Conte
oriental et illustrations de
Guy Dessauges
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