ATHEISME ET AGNOSTICISME

On le sait au moins depuis Parménide "L'être est, le non-être n'est pas ..." (1) et la question "pourquoi n'y a-t-il pas rien" (2) est aussi idiote que de se demander "pourquoi le jaune n'est il pas noir" ? Pour l'athéiste, tout ce qui EST est du monde, et il n'y en a donc pas "d'autre" .
Il y a un monde et il n'y a que celui-là, ou si on veut, dit autrement : "Il n'y a de monde que le monde", ce qui nous rapproche paradoxalement des musulmans et de leurs prières (3).
Ceci ne signifie évidemment pas qu'il affirme que tout ce qui est (l'univers entier) lui est connu. Ce qu'il n'a pas encore perçu fait aussi partie du monde, mais ne se trouve en aucun cas dans un "au-delà" inexistant.
S'entendre dire "l'un est" (4) ne lui paraît pas plus étrange que "les choses sont" (aux pommes ?) ou "les choses sont un" (c'est à dire sont "l'être"), parce que ces formules pseudo-transcendantes ne font jamais que le ramener à Parménide, ce qui n'est pas très original ni très neuf, et ne cache pas grand chose si ce n'est une évidence et même une "lapalissade".

L'athée est donc bien avant tout un "athéiste" au sens de Kojève par exemple (le "théiste" étant celui qui admet l'existence d'un "au-delà"), comme la plupart des agnostiques (je ne pense pas connaître d'agnostique théiste, quoique...).
L'athée pense que la diversité infinie du monde ne lui permettra jamais de le connaître entièrement, ni de tout expliquer définitivement. Ici encore, beaucoup d'agnostiques tiennent un discours semblable, mais déjà un début de décantation se dessine.
Le fait d'admettre l'infinie diversité du monde implique évidemment qu'il y aura toujours pour nous des "choses" inconnues (heureusement !). Mais l'ambiguïté, ou l'imprécision, du langage mène insensiblement à l'assertion "il y a donc des choses inconnaissables".
La nuance peut être de taille !
Si pour nous, les "choses" non encore connues étant de ce monde et donc toujours susceptibles d'être découvertes (connues, potentiellement "découvrables"), puis éventuellement expliquées, nous ne pouvons gratuitement affirmer qu'il existe de l'inconnaissable, de l'inconnaissable "en soi", par nature, de l'inconnaissable éternel et asséner l'assertion "l'inconnaissable est" (remplacez "l'inconnaissable" par "Dieu" et on y est) sous prétexte que, puisqu'il y aura toujours de l'inconnu, il "y a" de l'inconnaissable, est un abus de langage.
Il est aussi absurde de qualifier l'inconnu, par exemple de la qualité "inconnaissable", que de prétendre qu'il est vert ou que le non-être est.
Certains agnostiques (5) pourtant fondent leur déisme sur cette approche (l'ultime "inconnu"), même si, comme l'athée et la grande majorité des agnostiques, ils affirment "ne pas croire" (l'athée ne "croit" pas plus au monde qu'à la matière).
C'est un peu comme si on disait que certains nombres définis par une suite infinie (comme le nombre "pi" par exemple) sont inconnaissables puisqu'on ne peut jamais calculer toutes leurs décimales (ou, plus simplement, pourriez-vous écrire un nombre qui vaudrait exactement 1/3 ? ceux qui ont commencé il y a 2397 ans sont encore occupés !).
À ce compte, il serait plus correct de dire qu'on ne "connaît vraiment" jamais rien…(ah ! "l'essence" des choses…), ce qui n'est, en définitive, qu'une autre évidence très banale.
Ceux qui se disent agnostiques et affirment qu'il existera toujours de l'inconnaissable dans l'inconnu ont une attitude contradictoire par rapport à leur propre doctrine : ils ne laissent plus la porte ouverte aux autres hypothèses.
Et puis, on l'a vu : comment peut-on affirmer quoi que ce soit à propos de l'inconnu (ce ne serait plus tout à fait de l'inconnu)?
Plus conformes à la doctrine, à la logique et au bon sens, certains nous disent : "Il est possible qu'il existe de l'inconnaissable." (on n'écarte aucune hypothèse).
Le fait de ne pouvoir nier une telle assertion (et l'athée s'en gardera bien) conforte ce type d'agnostique dans sa position.
Mais les athées indélébiles que nous sommes répondent avec le même bon sens : "Si quoi que ce soit existe, même qualifiée d'inconnaissable cette "chose" est de ce monde et a de ce fait une action sur lui, une influence que nous pourrons percevoir un jour (nous non plus, ne nions aucune hypothèse a priori) et la "chose" ne sera plus entièrement "inconnaissable". Si maintenant j'admets que l'on pourrait, du moins théoriquement mais à l'encontre du bon sens, concevoir un inconnaissable existant à jamais indécelable (qui n'aura jamais aucune interaction avec le reste du monde et aucune influence sur lui), alors cette chose est exactement comme si elle n'était pas, elle n'aura jamais rien à voir avec le monde, n'aura jamais aucune influence sur lui, ce serait un existant qui aurait toutes les caractéristiques de l'inexistant et supposer qu'elle puisse exister ou non ne change rien à rien."
Les seules « choses » que nous pourrions à la rigueur qualifier « d'inconnaissables », seraient des « choses » disparues à tout jamais et dont on pourrait affirmer qu'elles n'auraient laissé aucune trace, et dont nous n'en apercevrions jamais aucune.
Même si je ne puis réfuter (et justement pour cela je ne l'accepte pas) l'assertion « il y a un autre monde (ou des « choses ») inconnaissable », sa définition implique le rejet de toute « religion » se référant à ce « monde », ou relation avec celui-ci, puisqu'il n'y aurait justement aucun « lien », aucune interaction entre ce « monde » gratuitement supposé et celui qui est « connaissable », même en supposant une relation à sens unique, de nous vers ce « monde », sans aucun retour. On affirme par là même l'inopérance ridicule et définitive de toutes les gesticulations, incantations ou prières puériles de tous les croyants de toutes les religions.
De plus, appeler ce « monde » inconnaissable « dieu » ou le « royaume de dieu » en lui supposant toutes sortes de qualités « humaines » (beau, harmonieux, juste, bon…) relève alors de rêveries futiles et bizarrement anthropocentristes.
Je peux aussi bien supposer l'existence du vide absolu, ou du « rien » sans que cela change quoi que ce soit.
L'athée serait donc encore plus agnostique que l'agnostique.
Si jamais il vous arrive de discuter avec un tel agnostique, faites comme moi, allez prendre un pot avec elle (ou avec lui) et parlez d'autre chose, par exemple du fait que les dinosaures n'ont jamais pu percevoir l'explosion d'une bombe à hydrogène (et pourtant elle existe), et aussi que ceux-ci ont perçu des choses qui existaient et que nous ne percevrons plus jamais (le « futur » est-il connaissable ?…)

Mais le clivage entre l'athée et d'autres agnostiques prend une autre forme lorsqu'on nous annonce qu'il faut bien (ou qu'il n'est pas impossible qu'il existe) un horloger (ou un grand architecte), un esprit ou une force (supérieure) qui "organise" le monde pour qu'il soit tel qu'il est.
On remarquera que dans la plupart des genèses, le dieu est bien « l'ordonnateur » d'un chaos préexistant, « l'organisateur » du monde, ce qui lui permet de tirer des « choses » (créer) hors de la matière du chaos. Il ne serait pas le créateur absolu de tout ce qui est, de la « matière primordiale », ce qui finit par être contradictoire avec ses définitions ultérieures.
Ces dieux existent dans un monde déjà existant…
Pour d'autres encore, la "beauté" même du monde atteste de l'existence possible de ce "grand esprit", artiste infiniment incomparable, quel que soit le nom qu'on lui donne.
Si effectivement l'athée lui non plus ne peut écarter aucune hypothèse, même si elle paraît contraire à son savoir ou invraisemblable, encore faut-il qu'il s'agisse vraiment d'une hypothèse, c'est à dire d'une assertion vérifiable, contrôlable, (même seulement sur le plan théorique), discutable et surtout réfutable, conditions que « l'hypothèse dieu » (même au sens agnostique) ne paraît pas remplir.
En effet, l'assertion « Dieu est » n'est théoriquement pas réfutable, et en pratique non plus : il y a encore beaucoup de pays où il est défendu de dire des choses pareilles (réfuter l'existence de « Dieu »), parfois sous peine de mort, et là où on ne vous punit pas (trop) pour avoir nié cette assertion, vous passez pour « un être incomplet », ou comme incapable de toute notion de « transcendance », alors que c'est précisément une notion trop confuse ou erronée du concept « infini » qui fait éclore des dieux dans des esprits manquant justement de la capacité de « transcendance ».
Mais ce qui est aussi important ici, c'est de comprendre que le "sens" de l'organisation ou de la beauté par exemple, relèvent bien une fois de plus d'une tournure d'esprit ou d'un ensemble d'émotions beaucoup trop humaines que de qualités « divines ».
On retrouve bien l'anthropomorphisme des "êtres supérieurs" de toutes les religions primitives, christianisme y compris (beau, ordonné...)
Mais le monde est-il juste, bon… ???
Ces esprits élevés et soi disant agnostiques ne sont pas plus malins que le pauvre croyant qui dit : « Dieu existe parce ce que je conçois le monde comme créé par lui », un peu à la manière d'Hegel : « Le monde est rationnel parce que je le comprends avec ma raison… »

Et puis, ne pourrait-on répondre avec bien plus d'arguments, que bien au contraire le monde n'est qu'un chaos (certains diraient un foutoir ou "un merdier") pas du tout organisé, qui ne "sait" pas du tout "où il va", que se contente « d'être », qu'il y existe de tout et n'importe quoi, tout ce qui est "possible", pourvu que ça "sur-existe" pour un certain temps (6), même les trucs les plus impensables, mais qu'on peut toujours finir par découvrir à un moment donné.
Et n'y a-il rien de plus subjectif que la beauté ?
Si parler de "magnifique ordonnance" ou de "beauté" ne relève donc que de rêveries brumeuses ou d'une espérance orgueilleuse proche de la folie (croire que l'univers serait « humain »), n'est évidemment pas interdit, mais ne fera jamais progresser notre compréhension de cet univers.
Dans cette catégorie d'agnostiques (on ne peut être exhaustif, les variétés d'agnosticisme sont aussi nombreuses que les conceptions religieuses), la plupart aboutissent à une sorte de panthéisme inavoué : "l'esprit" serait dans la matière, "Dieu" dans le monde, le monde serait "Dieu".
On veut bien, mais pourquoi appeler ça "Dieu" ?
Le terme a une connotation historique beaucoup trop précise et bien souvent trop répugnante, à moins bien entendu de supposer que ce "Dieu-monde" soit influençable et que nos petits désirs égoïstes, nos incantations puériles ou nos rites ridicules pourraient parfois le faire changer « d'avis » et qu'il a les mêmes « émotions » que nous, attitude intellectuelle qui relèverait plutôt de la maladie mentale.
Si ce n'est pas le cas,  il ne s'occupe donc pas de vous, alors, ne vous occupez pas de "lui".
L'attitude religieuse révèle alors assez paradoxalement l'orgueil incommensurable des croyants : croire que l'univers « s'occupe » d'eux, qu'il comprend leurs ridicules besoins humains et aurait des qualités spécifiquement humaines, ou du moins que l'humain a lui-même idéalisées (bonté, justice, beauté …) et puis enfin le comble : croire que cet « univers » irait modifier des choses sur cette poussière infinitésimale pour accéder à ses désirs insignifiants ou pour satisfaire ses propres notions de bonté, de justice etc.

« Dieu » ne peut donc pas être considéré comme une hypothèse, l'assertion de son existence probable n'étant logiquement pas vérifiable et non réfutable, au même titre que l'affirmation sans fondement aucun de son existence.
Avec beaucoup d'efforts, on peut peut-être comprendre pourquoi il y a tant de croyants, mais pourquoi donc y a-t-il des agnostiques ?
Quand un croyant primitif (un chrétien par exemple) nous explique son dieu impensable, l'athée peut à bon droit dire « ( Ce) dieu n'existe pas », mais quand un « agnostique » vient à appeler l'univers « Dieu », nous n'avons plus qu'à lui répondre « Cela n'est pas Dieu ».
À tout discours croyant ou agnostique, l'athée n'a finalement pour réponse que celle dérivée de l'assertion parménidienne « Tout ce qui existe, est du monde, et le monde n'est pas le dieu des croyants. On ne croit pas au monde, il existe » (et on pourrait ajouter « sans cause » - sans motif, sans but autre que « d'être »).
Le comprendre, c'est autre chose, mais ce ne sont pas les dieux qui vont nous l'expliquer…

Les athées rejettent l'hypothèse "dieu" en ce sens que ce ne peut être une hypothèse au sens strict du terme (ce qui est plus rationnel que de nier une existence invérifiable) et aussi parce que d'une part, lorsque le terme "dieu" désigne une "chose" trop précise, trop bien définie, l'hypothèse est inutile, absurde, contradictoire, déresponsabilise (déshumanise) l'homme et ce "Dieu" finit toujours par être une "chose du monde", ce qui en ôte son caractère divin, ou par disparaître dans le « rien ».
D'autre part, lorsque sa qualification devient trop vague, ni le terme ni l'hypothèse ne signifient plus rien, ou encore tout ce qu'on veut et donc aussi tout ce qui existe et le terme n'est plus adéquat.

 

(1) Philosophe éléate (d'Élée) du VI-Vème siècle avant l'ère chrétienne, disciple de Xénophane de Colophon.
Son raisonnement - tout théorique - (il n'y a donc pas de vide - assimilé au non-être - et le monde est plein) le conduit paradoxalement à conclure à l'impossibilité du mouvement (son élève Zénon produisit bien d'autres paradoxes, dont les mécanismes ne furent étudiés en profondeur qu'au début du XXème siècle, avec Russell entre autres). Ceci amena Démocrite (d'Abdère) à en prendre le contre-pied (démarche poppérienne avant la lettre) en développant la théorie atomiste de Leucippe, première physique matérialiste (connue) excluant l'intervention des dieux dans une explication du monde (mais en réintroduisant le "vide" où ses "atomes" pouvaient se mouvoir).
De son œuvre détruite, il reste quelques vers ("De la nature") traitant de l'unité et de l'éternité de l'être.
(2) Il ne peut y avoir de discours sur le rien. Voir le livre posthume (L'athéisme) de Kojève (que l'auteur n'a jamais voulu publier. Coll. Tel chez Gallimard, 1998) et ne pas faire confiance aux critiques et autres commentateurs (comme l'auteur de la préface, Laurent Bibard) qui voudraient nous faire croire qu'il "chosifie le néant", c'est juste le contraire.
(3) Remplacez "monde" par "Dieu" (Allâh) et vous aurez le début de l'appel à la prière des musulmans, qui commence par une négation apparente : "Il n'y a (pas) de Dieu (autre) que Dieu".
(4) Dans le bassin méditerranéen oriental, la divinité (unique) se désignait par "El", "Yah" ou"Lah" (encore toujours "El" ou "Io" dans les manuscrits de la Mer Morte – de l'égyptien Iao ; voir aussi le mot "yahada", communauté, Yahouda : la Judée), à rapprocher de Yah-weh et de Al-lâh.
Voir aussi l'étymologie du mot "(h)allélouia(h)"...('Illel-w-yah).
Ici aussi, on peut remplacer "l'un" par "Dieu" pour retrouver une formule bien connue.
(5) Je ne veux pas être aussi sévère avec "les agnostiques" qu'ils le sont généralement avec les athées ("nier l'existence de dieu est aussi irrationnel que d'affirmer son existence") et les mettre "tous dans le même sac".
(6) Voir Diderot dans sa "Lettre sur les aveugles".

Johannès Robyn

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