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Amor brujo
 
... à suivre

« Soleil, te souviens-tu de cette première fois où l'on avait dîné en tête-à-tête ? En centre ville à Venus, durant une escale de quelques heures avant de prendre la correspondance pour Mars. On avait préféré faire un tour en ville pour croquer un morceau. Que faisions-nous sur le même vaisseau ? Je ne m'en souviens plus... »


Je me souviens de tes yeux, de mon estomac noué, de ma langue en feu, rouge vif par ce plat vénusien tellement épicé. J'en pleurais. La sueur tombait en ruisseaux sur mes bras, coulait jusqu'à mes coudes suintants, qui glissaient littéralement sur la table. Des gouttes perlaient de mon front tombant droit dans l'assiette. Ma peau n'avait plus d'adhérence sur cette table baignant de transpiration, où mes bras se déplaçaient tels de véloces limaces sur leur bave.

Tu me regardais et souriais, sans gêne, amusée : une indigène regardant un touriste. Tu daignas m'expliquer que ce n'était pas une farce ; que le serveur n'avait pas mis de super-piment à l'acide sulfurique dans mon assiette ; que le tien aussi était assez fort... Premières paroles rassurantes de ta bouche. Puis tu me montras comment mélanger élégamment cette sauce endiablée avec le pain. J'avais une furieuse envie de boire, de frapper les serveurs qui riaient et me regardaient, souffrir, exténué de chaleur et d'ardeurs. On ne voyait que leurs dents dans la pénombre.

Tout le monde dans ce restaurant était d'une extraordinaire beauté, arborant un sourire rayonnant, permanent sur les lèvres. Une coïncidence ?
Plutôt une constatation qui me parut irréelle, bien trop improbable dans un lieu public en occident, sur la planète Terre. Ta superbe se détachait cependant des autres, et tout en essayant d'avaler le repas, j'associais les mots "sauce", "souffre", "sourire illuminé" et repassais dans ma tête toute une cinémathèque personnelle, tentant de me souvenir dans quel film de sorcières j'avais bien pu avoir vu une scène similaire. Les ventilateurs n'aéraient pas ce jour-là, c'était une fournaise dans mon esprit.

Je tombai littéralement en syncope, non pas par chaleur et épices, mais par l'insoutenable beauté de ton visage, que je ne pouvais quitter des yeux. J'essayais, ne voulant pas paraître importun en te dévisageant, mais ton sourire - que je découvrais pour la première fois de tout près, dans la pénombre du restaurant -, ramenait irrémédiablement mon regard sur toi. Tes dents-regard, tes yeux-sourire, brillaient d'une éclat surnaturel. Ma tête tournait. Et à travers le rideau de larmes de mes yeux injectés piments, ta "coquetterie" dans l'oeil me transperça le coeur ; me fit comprendre le sens du mot amour. Tu portais le plus bel et émouvant regard que j'avais croisé de ma vie ; et c'était moi que tu regardais ! Un regard délire, un regard sorcier, un regard mystique qui rend minable tout un chacun, qui se posa respectueusement au lointain de mes yeux, sans sonder ni pénétrer, même s'il aurait le pouvoir de percer. J'ignorais jusque-là qu'on puisse autant ressentir en fixant des yeux, que quelqu'un face à moi puisse être aussi belle ! Te l'avais-je jamais dit ?

Et ton sourire, quels sourires ! Sourire espéranto, sourire pur de nouveau-né, sans pensées, sourire d'enfant voulant jouer, sourire origine du monde, sourire-amour, sourire-moqueur, sourire-univers, sourire-maman, sourire-sorcière.

De mon côté je découvrais, je réalisais le gouffre et le souffre amer d'erreurs irréparables de ma vie. Vie que je venais de rater ce jour-là. La souffrance du piment dans la trachée mélangée à l'étourdissement de cette prise de conscience... « Je suis un raté ! me dis-je, Raté ma vie, ma bouche est en feu, mon coeur va éclater. »
J'en suis aujourd'hui au même point, toujours en état de choc par ces sourires de Vénus sur la Lune, torturés, retournés dans ma tête, regrets et remembrances sucrées de ton goût salé dans ma bouche. Amertume d'avouer qu'il me fallut plus de temps qu'à toi pour comprendre ce qui arrive. Les hommes sommes lents, machines rouillées, mollusques glissants sur le pavé ; bien trop lents pour apprécier la saveur et la valeur instantanée des sauces fortes et des miracles qu'offre la vie. J'ai honte de n'être qu'un homme, et jamais je ne pourrai échapper à mon complexe d'infériorité. Je ne suis qu'un homme. Te l'avais-je jamais confessé ?

On annonce ses fiançailles en public généralement, je ne peux pas autrement qu'ici, pas pour l'instant car je suis coincé. Tu comprends ? Ne perds pas ton sourire, il n'y a pas plus de problèmes que de solutions. La polygamie est un délit dis-tu ? Que ne deviendrait-on polygames et hors-la-loi ?

Pour ma bien aimée Soleil, chère de ma chair, mère de ma chair :
Bon anniversaire !