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Science et religion : quelle convergence ?
Par le professeur Richard Dawkins

 

La science et la religion convergent-elles ? Non.
Il existe de nos jours des scientifiques dont les écrits semblent religieux mais dont les convictions, quand on les examine de près, se révèlent identiques à celles d'autres scientifiques qui se décrivent comme athées. Le livre lyrique d'Ursula Goodenough, Les Profondeurs Sacrées de la Nature (The Sacred Depths of Nature), est vendu comme un livre religieux, est recommandé par des théologiens sur la quatrième de couverture, et ses chapitres sont profusément truffés de prières et de méditations dévotes.

Pourtant, de l'aveu même du livre, Ursula Goodenough ne croit en aucune sorte d'être suprême et ne croit en aucune espèce de vie après la mort. Selon une compréhension normale de la langue anglaise, elle n'est pas plus religieuse que moi. Elle partage avec d'autres scientifiques athées un sentiment d'émerveillement devant la majesté de l'univers et l'extrême complexité de la vie. De fait, le message sur la couverture de son livre – selon lequel la science ne "pointe pas vers une existence morne, vide de sens et sans but" mais au contraire "peut être une source jaillissante de réconfort et d'espoir" – aurait pu tout aussi bien convenir à mon livre Les Mystères de l'Arc-en-Ciel ou au livre La Tache Bleu Pâle (Pale Blue Dot) de Carl Sagan. Si c'est là de la religion, alors je suis un homme profondément religieux. Mais ce n'en est pas. Et je ne le suis pas. Pour autant que je puisse en juger, ma position "athée" est identique à la position "religieuse" d'Ursula. L'une de nous deux fait un mauvais usage de la langue anglaise, et je ne pense pas que ce soit moi.

Il se trouve que Goodenough est une biologiste, mais cette sorte de pseudo-religion néo-déiste est plus souvent associée à des physiciens. Dans le cas de Stephen Hawking, je me hâte de le préciser, cette accusation est injuste. Son expression que l'on cite tant, "l'esprit de Dieu", ne révèle pas plus une croyance en Dieu que lorsque je dis "Dieu seul le sait" pour signifier que je ne sais pas. Je subodore qu'il en est de même pour Einstein quand il invoquait le "bon Dieu" pour personnifier les lois de la physique. Malgré cela, Paul Davies a adopté cette expression de Hawking pour en faire le titre d'un livre, lequel a ensuite remporté le Prix Templeton pour le Progrès en Religion, actuellement le prix le plus lucratif au monde, suffisamment prestigieux pour être présenté dans l'Abbaye de Westminster. Le philosophe Daniel Dennet m'a un jour fait remarquer sur un ton à la Faust : "Richard, si jamais vous traversez une mauvaise passe financière…"

Si vous comptez Einstein et Hawking dans les rangs des religieux, si vous estimez que l'émerveillement cosmique de Goodenough, Davies, Sagan et moi-même est de la vraie religion, alors la religion et la science ont effectivement fusionné, surtout si l'on prend en compte des prêtres athées comme Don Cupitt et de nombreux chapelains d'université. Mais si on affuble le terme de religion d'une définition aussi élastique et flasque, quel mot reste-t-il pour la religion conventionnelle, la religion telle qu'une personne ordinaire sur son banc d'église ou son tapis de prière la comprend aujourd'hui – ou d'ailleurs, telle que l'aurait comprise n'importe quel intellectuel dans les siècles passés, à l'époque où les intellectuels étaient aussi religieux que tout le monde ?

Si Dieu est synonyme des plus profonds principes de la physique, quel mot reste-t-il pour désigner un être hypothétique qui répond aux prières, intervient pour sauver les malades du cancer ou aider l'évolution à faire des sauts difficiles, pardonne les péchés ou meurt pour eux ? Si nous sommes autorisés à re-catégoriser l'émerveillement scientifique en élan religieux, alors toute cette affaire n'est que du maquillage. Vous avez redéfini la science comme une religion, et il n'est donc pas surprenant que les deux semblent "converger".

Certains ont prétendu qu'il existait une autre sorte de mariage, cette fois-ci entre la physique moderne et le mysticisme oriental. L'argument est le suivant : la mécanique quantique, cette théorie aux succès brillants qui est le vaisseau amiral de la science moderne, est profondément mystérieuse et difficile à comprendre. Les mystiques orientaux ont toujours été profondément mystérieux et difficiles à comprendre. Par conséquent, les mystiques orientaux étaient sûrement en train de parler de théorique quantique.

De tels échafaudages ont été édifiés sur le principe d'incertitude de Heisenberg ("Finalement, ne sommes nous pas tous incertains, d'une certaine façon ?"), la logique floue ("oui, vous avez le droit d'être flou vous aussi"), le chaos et la théorie de la complexité (l'effet papillon, la beauté platonique et cachée de l'ensemble de Mandelbrot – nommez n'importe quoi, et quelqu'un l'aura sûrement mysticisé et transformé en dollars). Vous pouvez acheter autant de livres que vous voulez sur la "guérison quantique", sans parler de la psychologie quantique, la responsabilité quantique, la moralité quantique, l'immortalité quantique et la théologie quantique. Je n'ai pas encore trouvé de livres sur le féminisme quantique, la gestion financière quantique ou la théorie afro-quantique, mais ça ne saurait tarder.

Tout ce business peu reluisant est mis à jour avec talent par le physicien Victor Stenger dans son livre Le Quantum Inconscient (The Unconscious Quantum), d'où est tirée la perle qui suit. Dans une conférence sur "La guérison afrocentrique", la psychiatre Patricia Newton a dit que les guérisseurs traditionnels "sont capables de s'alimenter à cet autre domaine d'entropie négative – cette vélocité superquantique et fréquence d'énergie électromagnétique – et de servir de tuyau pour les faire descendre à notre niveau. Ce n'est pas de la magie. Ce n'est pas du charabia. Vous verrez l'aube du 21ème siècle, la nouvelle physique quantique médicale distribuer réellement ces énergies et ce qu'elles font."

Désolé, mais charabia est le mot exact qui convient. Pas du charabia de sorcier africain, mais du charabia pseudo-scientifique, jusqu'à l'usage abusif mais caractéristique du mot énergie. C'est aussi de la religion, travestie en science dans une sirupeuse orgie de convergence fictive.

En 1996 le Vatican, tout frais sorti de sa réconciliation magnanime avec Galilée, à peine 350 ans après sa mort, a annoncé publiquement que l'évolution venait d'être promue du rang d'hypothèse provisoire à celui de théorie scientifique acceptée. Cela est moins stupéfiant que beaucoup de protestants américains ne le pensent, car l'Eglise Catholique Romaine n'a jamais été réputée pour son littéralisme biblique. Au contraire, elle a traité la Bible avec suspicion, comme quelque chose s'approchant d'un document subversif, qui devait être soigneusement filtrée par des prêtres plutôt que d'être donnée toute crue aux congrégations. Le message récent du pape sur l'évolution a malgré tout été célébré comme un exemple supplémentaire de la convergence entre science et religion en cette fin du 20ème siècle.

Les réponses au message du pape ont révélé les pires travers de nombreux intellectuels à l'esprit large, qui se sont bousculés dans leur enthousiasme à concéder à la religion son propre magistère, d'égale importance à celui de la science mais sans lui être opposé. Une telle conciliation agnostique est, encore une fois, facile à confondre avec une authentique convergence d'esprit.

Dans ce qu'elle a de plus naïf, cette lâche politique de conciliation compartimente le territoire intellectuel entre "questions sur le comment" (la science) et "questions sur le pourquoi" (la religion). Que sont ces "questions sur le pourquoi", et pourquoi nous sentons-nous le droit de penser qu'elles méritent une réponse ? Il se peut qu'il existe de profondes questions concernant le cosmos qui sont pour toujours hors d'atteinte de la science. L'erreur est de croire qu'elles sont par conséquent à portée de la religion.

J'ai un jour demandé à un astronome distingué, une autorité de mon université, de m'expliquer la théorie du Big Bang. Il l'a fait du mieux de ses capacités (et des miennes), et j'ai ensuite demandé ce qu'il y avait dans les lois fondamentales de la physiques qui rendait possible l'origine spontanée de l'espace et du temps. "Ah," a-t-il souri, "a présent nous sortons du domaine de la science. C'est ici que je dois vous remettre entre les mains de notre bon ami le chapelain". Mais pourquoi le chapelain ? Pourquoi pas le jardinier ou le cuistot ? Bien sûr, contrairement aux cuistots et aux jardiniers, les chapelains affirment avoir quelque clairvoyance en ce qui concerne les questions ultimes. Mais quelles raisons avons-nous de prendre leurs affirmations au sérieux ? Une fois de plus, je soupçonne mon ami le professeur d'astronomie d'avoir utilisé l'astuce de Einstein/Hawking consistant à utiliser "Dieu" pour dire "Ce que nous ne comprenons pas". Cela ne serait qu'une astuce sans gravité si elle n'était pas continuellement mal comprise par ceux qui meurent d'envie de ne pas la comprendre. De toute façon, les optimistes parmi les scientifiques – et j'en fais partie – répètent que "ce que nous ne comprenons pas" signifie seulement "ce que nous ne comprenons pas encore". La science continue à travailler sur la question. Nous ne savons pas où, ou même si, nous serons finalement à court d'explications.

La conciliation agnostique, cette attitude de complaisance polie qui consiste à faire des contorsions pour concéder le plus de choses possibles à quiconque crie suffisamment fort, atteint des sommets grotesques dans l'exemple de raisonnement vaseux qui suit. Cela donne à peu près ceci : On ne peut pas prouver une négation (jusque-là ça va). La science n'a aucun moyen de réfuter l'existence d'un être suprême (c'est strictement vrai). Par conséquent, la croyance ou l'incroyance en un être suprême est une affaire de pure préférence individuelle, et les deux méritent la même considération respectueuse ! Quand on dit cela comme ça, le vice de raisonnement est presque flagrant; on a à peine besoin d'en détailler les conséquences absurdes. Comme le dit mon collègue le physicien chimiste Peter Atkins, nous devons être tout aussi agnostique envers la théorie selon laquelle il y a une théière en orbite autour de la planète Pluton. On ne peut pas prouver le contraire. Mais cela ne veut pas dire que la théorie selon laquelle il y a une théière est au même niveau que la théorie selon laquelle il n'y en a pas.

Maintenant, si l'on nous rétorque qu'il y existe effectivement des raisons X, Y et Z pour lesquelles il est plus plausible de trouver un être suprême qu'une théière, alors X, Y et Z doivent être clairement précisées – car si elles sont légitimes, elles représentent des arguments scientifiques qui doivent être évalués. Ne les protégez pas des regards indiscrets derrière un écran de tolérance agnostique. Si les arguments religieux sont vraiment meilleurs que la théorie de la théière d'Atkins, accordons-leur notre attention. Sinon, que ceux qui se disent agnostiques concernant la religion ajoutent qu'ils sont tout aussi agnostiques envers les théières en orbite. En même temps, les théistes modernes pourraient reconnaître que, en ce qui concerne Baal et le veau d'or, Thor et Wotan, Poséidon et Apollon, Mithra et Amon Ra, ils sont en fait athées. Nous sommes tous athées envers la plupart des dieux auxquels l'humanité a cru un jour. Certains d'entre nous se contentent de rajouter un dieu à la liste.

Quoi qu'il en soit, l'opinion selon laquelle la religion et la science occupent des magistères séparés est malhonnête. Elle s'effondre devant le fait indéniable que les religions continuent à faire des affirmations concernant le monde, et qu'après analyse ces affirmations se révèlent être des assertions scientifiques. De plus, les apologistes religieux essayent d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Quand ils parlent avec des intellectuels, ils évitent soigneusement de marcher sur les plates-bandes de la science, à l'abri dans leur séparé et invulnérable magistère religieux. Mais quand ils parlent à un auditoire de masse non-intellectuel, ils utilisent sans pudeur des histoires de miracles – lesquelles sont des intrusions flagrantes dans le territoire scientifique.

La Naissance Virginale, la Résurrection, le réveil de Lazare, et même les miracles de l'Ancien Testament : tous sont abondamment utilisés dans la propagande religieuse, et ils sont très efficaces devant un auditoire de gens simples et d'enfants. Chacun de ces miracles représente une violation du fonctionnement normal du monde naturel. Les théologiens devraient faire un choix. Vous pouvez prétendre avoir votre propre magistère, séparé de celui de la science mais tout de même digne de respect. Mais dans ce cas, il vous faut renoncer aux miracles. Ou bien vous pouvez conserver votre Lourdes et vos miracles et bénéficier de leur énorme pouvoir de recrutement parmi la population non éduquée. Mais alors il faudra dire adieu aux magistères séparés et à votre noble aspiration à converger avec la science.

Le désir d'avoir le beurre et l'argent du beurre n'est pas surprenant chez tout bon propagandiste. Ce qui est surprenant, c'est que des agnostiques ouverts n'hésitent pas à leur emboîter le pas et à dénigrer, comme s'ils étaient des extrémistes simplistes et insensibles, ceux d'entre nous qui ont la témérité de sortir le carton rouge. Ceux qui sortent le carton rouge sont accusés d'inventer une caricature de la religion dans laquelle Dieu aurait une longue barbe blanche et vivrait dans un lieu physique appelé ciel. De nos jour, nous dit-on, la religion a dépassé ce stade. Le ciel n'est pas un lieu physique et Dieu n'a pas un corps physique sur lequel reposerait une barbe. Ma foi oui, comme c'est admirable : des magistères séparés, une vraie convergence. Mais la doctrine de l'Assomption a été définie comme un Article de Foi par le pape Pie XII à la date récente du 1er novembre 1950, et doit être acceptée par tous les catholiques. Elle affirme clairement que le corps de Marie a été emmené au ciel et réuni avec son âme. Comment interpréter cela autrement que par le fait que le ciel est un lieu physique qui contient des corps ? Je le répète, il ne s'agit pas d'une tradition désuète et obsolète qui aurait un sens purement symbolique. Cette doctrine a été officiellement, et récemment, déclarée comme étant littéralement vraie.

La convergence ? Uniquement quand cela les arrange. Pour quelqu'un qui juge honnêtement les choses, ce soi-disant mariage entre la religion et la science est une imposture médiocre, vide et habilement enjolivée.

Article paru dans FORBES - Traduit par Thomas Zartregu

 

 

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