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Contre le communautarisme, l'intégrisme, l'obscurantisme, les discriminations

L’eugénisme au service du libéralisme

Jacques Testard, l'auteur de l'article ci-dessous, et "père" du premier bébé éprouvette, afficha il y a quelques années son opposition au clonage thérapeutique et reproductif. Nous ne partageons pas son opposition d'antan au clonage thérapeutique - qu'il a récemment nuancée -, notamment du moment que les embryons/cellules utilisés n'ont pas de projet parental (cf : aucune intention [des parents] d'implantation dans un utérus).
Nous partageons pourtant l'idée de nécessité de discussions sérieuses sur ces techniques de proche avenir, imminent, déjà réalisables au présent sans réelle maîtrise scientifique, de leur nécessaire encadrement bioéthique.
Nous partageons aussi son scepticisme et ses craintes, respectivement sur l'utilité et sur les dérives plus que plausibles, des clonages reproductifs humains (cf : embryon cloné, implanté dans un utérus, et mené à terme) lorsqu'ils seront raisonnablement opérationnels, et des diagnostics préimplantatoires. Ces dérives - que nous qualifions ici de plausibles - sont en fait très probables car déjà envisagées et pratiquement en cours de déculpabilisation dans des sociétés où éthique s'imbrique avec utilitarisme, voire avec rentabilité et libre marché...
Des sociétés qui n'ont pas les armes légales ni éthiques pour agir/s'indigner contre des génocides ayant cours actuellement dans des territoires voisins ; qui se satisfont de "la destruction de l'autre du moment que les nôtres sont épargnés", ne les auront pas non plus face aux dérives annoncées du clonage reproductif comme réserve d'organes, ni à leur commercialisation - chez eux voire dans un État voisin. La banalisation et minimisation politique des inégalités sociales, de droits et de niveau de vie, si à la mode actuellement, n'est guère rassurante sur l'avenir.
Association Fabula

 

« Avant de s’illustrer récemment dans la rubrique « eugénisme » en affirmant le caractère inné de certains troubles de conduite, Nicolas Sarkozy affichait son ostracisme à l’égard des immigrés. Pourtant, ce serait une erreur de croire que Sarkozy est d’abord raciste, il est viscéralement ultra-libéral.
Là où les attardés de la France profonde s’entêtent à séparer le bon sang du sang étranger, Sarkozy, porte-parole de la « droite décomplexée », ne juge les hommes que par leur utilité. Sa loi relative à l’immigration et à l’intégration promulgue l’étiquetage de produits humains venus d’ailleurs, parce qu’il est de bonne pratique économique de qualifier les ingrédients de la machine à produire, afin de valider la planification pour obtenir la compétitivité.

De même, l’égalité des chances et la discrimination positive induiront davantage de concurrence entre de nombreux postulants à l’exploitation, et la carte de séjour temporaire indiquant la raison retenue pour importer chaque étranger est une façon enfin sérieuse de gérer le capital humain : les scientifiques ou footballeurs acceptés à l’import dans la case « compétences et talents » mériteront bien une carte de trois ans renouvelable « pour le développement et le rayonnement de la France ».

Bien sûr, la stratégie de prise du pouvoir peut aussi amener à faire plaisir aux électeurs sensibles à la démagogie anti-immigrés. Mais ces concessions tactiques cachent la philosophie de libre concurrence qui fonde le projet de société de Sarkozy. Car, au-delà des niaiseries racistes, les carences innées ou acquises sont à risque économique si elles créent des handicaps ou des dysfonctionnements qui entravent la compétitivité.

Finies les sottises criminelles en vogue au siècle dernier sous le nom d’eugénisme. Les tolérances de Sarkozy pour les communautarismes religieux montrent qu’il ne hiérarchise pas les héritages culturels. Et si les femmes sont encore moins bien rétribuées que les hommes, c’est la rançon de pesanteurs historiques aujourd’hui indéfendables.

Ainsi, l’ultralibéral accepte l’égalité biologique entre catégories humaines parce qu’elle multiplie les occasions compétitives en jetant dans le même sac (le même marché) tous les sexes, races, origines. En revanche, la proclamation d’inégalités innées entre individus d’une même catégorie permet de justifier les échecs, malgré tous les efforts d’un pouvoir bienveillant et démocratique...

C’est une des pesanteurs de la social-démocratie que de fonctionner avec le même moteur libéral et le même carburant scientiste que le capitalisme, mais sans avoir ni le goût ni l’audace d’assumer les exclusions...

Par là s’explique peut-être la relative passivité qui a accueilli les propos récents de Nicolas Sarkozy sur le caractère inné de certains comportements. Des responsables politiques de gauche se sont débarrassés du vilain bébé eugénique en le remettant aux scientifiques. Comme si l’enjeu était de démontrer une vérité définitive plutôt qu’affirmer des convictions pour une société capable de gérer humainement les différences.

Grâce à la science on pourra faire mieux dans l’identification et la sélection. Selon le souhait du gouvernement où siégeait Sarkozy on pourrait connecter ensemble tous les fichiers informatisés pour accéder à des éléments de la vie privée que le travailleur ou le chômeur auraient préféré dissimuler. Mais voilà que l’informatique se marie avec la génétique : Google veut créer une base de données qui mettrait en ligne toute l’information disponible sur les génomes pour l’avènement de « la médecine personnalisée », laquelle permettrait à chacun de gérer son existence en fonction de son capital génétique... et aussi à chaque employeur d’évaluer « scientifiquement » son personnel.

« IMMIGRATION CHOISIE »

Nous n’en sommes qu’à l’« immigration choisie » mais, comme prévu il y a un demi-siècle par le généticien progressiste Hermann Muller (Prix Nobel en 1946), « l’eugénisme de la société future, libéré des traditions de caste, d’esclavage, de colonisation, pourra être une eugénique véritable et radicale ». Comme à Singapour où on récompense le mariage entre diplômés aussi bien que la stérilité des couples sans diplômes. Comme en Europe où, encore récemment, la stérilisation forcée ne visait pas tant la dissémination d’une « tare génétique » que l’incapacité du porteur à « assurer la subsistance de ceux qu’il pourrait engendrer ».

Le philosophe américain Peter Singer a tiré profit des récentes connaissances génétiques : puisqu’il y aurait davantage de différences entre le génome d’un trisomique et celui d’un homme « normal » qu’entre le génome du même homme et celui d’un chimpanzé, il faudrait utiliser des « mongoliens » plutôt que des singes dans l’expérimentation... Le futur des hommes sans qualités s’illumine avec les propositions des « transhumanistes » pour enrichir le corps humain en nanoprocesseurs afin d’« optimiser » les performances du muscle ou du cerveau.

Le message d’Hermann Muller est en bonne voie pourvu qu’on ne perçoive pas l’eugénisme par la lunette étroite du racisme ou de l’antisémitisme : dès qu’on saura produire les oeufs humains en abondance et sans instrumentaliser les femmes, le tri des pontes au laboratoire sera intensifié pour la sélection du meilleur bébé possible. Cette mise en compétition de leurs embryons permettra à chaque couple, et hors de toute suspicion de racisme, de remplir efficacement la case sarkozienne « compétences et talents »... avec confirmation grâce à des tests pratiqués dès l’âge de 3 ans.

La « cérémonie d’accueil dans la citoyenneté », baptême tardif aujourd’hui exigé pour les immigrés élus, fera alors place au combien plus précoce et scientifique Diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), concours médical d’entrée dans la jungle compétitive. Et ce tri biologique promettra encore l’égalité des chances pour tous les géniteurs, quelle que soit leur origine.

Décidément, le libéralisme économique est bien l’ennemi de l’humanisme, et le scientisme est toujours son allié. »

par Jacques Testard
article paru le 18 avril 2007, dans LE MONDE

 

 

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