L'EMBRYOLOGIE
Preuves à conviction de l'évolution
| Autres
preuves | |
Le
monde vivant nous émerveille par l'extraordinaire diversité
des individus qui le composent : diversité des formes,
des adaptations physiologiques à l'environnement, des
habitats, des comportements. Diversité aussi dans les
modalités du développement d'un individu. Pourtant,
l'embryologie nous apprend que, sous la variété,
se cache une remarquable homogénéité.
D'un groupe animal à l'autre, du pluricellulaire le
plus primitif à l'animal le plus évolué,
le développement se déroule selon les mêmes
schémas d'ensemble, dans lesquels se retrouvent les
mêmes étapes principales.
Cependant que certaines différences de développement
embryonnaire interlignées, ou des altérations
de la chronologie du développement, sont à leur
tour d'importants mécanismes évolutifs, expliquant
de profondes différences entre taxons frères...
La
formation "soudaine" des ailes de Chauve-souris
Preuves
à conviction, sous les yeux, de l'évolution
La formation des ailes de chauves-souris peut apparaître
comme un processus des plus évolutivement complexes,
au résultat étonnant - l'aptitude au vol - mais
ne faisant appel qu'à quelques petites modifications
embryologiques : d'une part un allongement
des doigts des membres antérieurs, et d'autre
part une membrane interdigitale non
résorbée, restant à l'état
embryonnaire car ne subissant pas l'apoptose qui, durant le
développement de l'embryon, sculpterait les 5 doigts
pour les séparer. Ces changements de développement
sont peut-être mineurs, mais ses conséquences
anatomiques sont énormes. Ci-dessous une synthèse
en quelques éléments des deux étapes
cruciales.
En
avril 2006, l'équipe de Karen Sears a démontré
que la surexpression d'un seul gène au niveau
des pattes antérieures des chauve-souris était
responsable de l'allongement des doigts ! Il s'agit du désormais
célèbre gène Bmp2, de la famille des
bone morphogenetic proteins. Sans l'action de ce gène,
les chauve-souris auraient des doigts d'une longueur proportionnelle,
équivalente à celle des autres mammifères
de la même taille. Si on compare un foetus de souris
à celui d'une chauve-souris, à un état
précoce de leur dévelopement, leurs membres
antérieurs se ressemblent fortement :
Bras
de foetus de chauve-souris |
Bras de foetus de souris |
|
Les
différences observées commencent à apparaître
par la suite, et sont corrélées à une
surexpression du gène Bmp2, uniquement aux pattes
antérieures, donnant un extrême allongement des
doigts.
Un des
problèmes posés par cette démonstration
de K. Sears, est que Bmp2 est aussi impliqué dans l'initiation
de l'apoptose de la membrane interdigitale. Or la membrane
ne disparaît pas chez les chauve-souris. La question
était donc : par quel(s) facteur(s) ajouté(s)
les membranes interdigitales ne se sont-elles pas résorbées
chez le foetus, comme c'est le cas de la plupart des autres
tétrapodes ?
En octobre
2006, Scott Whetherbee a résolu ce légitime
questionnement en montrant que les voies de signalisation
de Bmp2 sont différentiellemment modulées au
niveau des cartilages et de la membrane interdigitale des
chauve-souris, avec le gène Fgf8, qui vient
inhiber l'effet pro-apoptotique de Bmp2. Ce qui résultera
dans la présence du large patagium des mains et des
bras des chauve-souris.
Avec
ces éléments temporel et spatial, ainsi que
de régulation des voies de signalisation de Bmp2, nous
avons le nécessaire pour expliquer, sur le plan moléculaire,
un changement phénotypique impressionant et d'apparence
très complexe : les ailes fonctionnelles des chauve-souris.
C'est une des plus fascinantes et explicites démonstrations
-et preuve - d'une évolution quelque peu saltanionniste,
ultra-rapide voire immédiate, sous un regard de "temps
géologiques"...
Références
et sources :
- Development
of bat flight: Morphologic and molecular evolution of bat
wing digits. K.E. Sears et al. (Open Access, PubMed Central).
2006
- Interdigital
webbing retention in bat wings illustrates genetic changes
underlying amniote limb diversification. S. D. Weatherbee
et al. (Open Access, PubMed Central) 2006
- Remerciements à Antoine Vekris, dont un message très
synthétique a largement inspiré ce chapitre.
Du
Têtard à la Grenouille
Preuves
à conviction, sous les yeux, de l'évolution
Tout
métazoaire, ou animal pluricellulaire (par opposition aux protozoaires,
dont l'organisme est formé d'une seule cellule), issu de la reproduction
sexuée, provient d'une cellule unique, l'oeuf. L'ontogenèse
est le passage de ce germe initial à l'individu adulte capable de se reproduire.
Cette histoire est marquée dans tout le règne animal par la succession
de phases essentielles : - la segmentation de l'oeuf, ou division cellulaire;
- la gastrulation, ou formation des feuillets embryonnaires, accompagnée
de mouvements cellulaires - l'organogenèse, avec la différenciation
des cellules et des tissus. La première étape est l'acquisition
de l'état pluricellulaire ; au cours de la deuxième phase, le plan
d'organisation du futur animal est établi dans ses grandes lignes; enfin,
c'est pendant l'organogenèse que les cellules
effectuent leur différenciation terminale et deviennent fonctionnelles.
L'ontogenèse
récapitule donc, très grossièrement et
pour quelques grandes étapes, la phylogenèse...
A ceci près qu'il s'agit d'un rappel assez visuel,
et non d'une loi biologique. L'essentiel est ici de retenir
que plus deux lignées seront apparentées, plus
les étapes embryonnaires se ressembleront.
Autre point essentiel : les différences ou ressemblances
ontogénétiques entre lignées, sont autant
un récapitulatif de leur parcours phylogénique
commun que de leurs séparations à un moment
donné. Avec la cruciale donnée que ces différences
de développement embyronnaire sont plus un acteur et
moteur de leur phénotype et de de leur phylogenèse,
qu'un rappel grossier de celle-ci, mais souffrant maintes
approximations et discordances si l'on tentait abusivement
d'y voir un reflet fidèle de l'ontogénie. Un
double miroir en quelque sorte, agent de variations et mémoire
résiduelle et enfouie, mais transformée et "détériorée",
du parcours évolutif suivi.
Et
c'est facilement observable par chacun d'entre nous bien que
nous n'ayons pas forcément sous la main des embryons
à différentes étapes du développement.
Quel est l'enfant qui n'a essayé, au printemps, d'élever
des têtards après avoir trouvé dans une
mare ou un ruisseau une de ces volumineuses pontes de grenouille
composée de centaines d'oeufs noirs ? L'oeuf de grenouille
est relativement gros, facile à récolter et
à observer. Comme l'oeuf d'oursin, c'est un matériel
de choix pour l'expérimentateur. Les photographies
ci-dessous montrent les principales étapes du développement
de la grenouille.
Ce
qui nous intéresse particulièrement ici est
d'observer le récapitulatif chronologique, suffisamment
précis et visible du parcours évolutif des vertébrés,
en quelques grandes lignes. En commençant par les premiers
chordés, des sortes de "vers" sans mâchoires,
sans pattes, avec une notochorde ou "épine dorsale"
non ossifiée, vivant dans l'eau et respirant par des
branchies ; passant par l'étape "poissons vertébrés"
; jusqu'à l'étape des premiers tétrapodes
terrestres, les amphibiens, à respiration aérienne.
Un parcours évolutif de plusieurs dizaines de millions
d'années, observable chez soi dans un récipient
d'eau (ou dans une mare à la campagne) et confirmé
par toutes les autres études et observations faites
par les diverses spécialités de la biologie.
Bien entendu l'embryon ne reproduit pas les stades adultes des proto-vertébrés
et vertébrés prédécesseurs, sinon des ébauches
plus ou moins abouties de leurs structures. Une partie de ces ébauches
provisoires et éphémères ne sont néanmoins rien de
moins que des organes fonctionnels, indispensables à l'animal durant son
développement. La
segmentation, totale, dure 24 heures, ainsi que la gastrulation qui lui fait suite
(1). La neurulation marque le début de l'organogenèse. A
partir de l'ectoderme se constitue la plaque neurale avec ses bourrelets médullaires
latéraux qui s'épaississent. La plaque devient gouttière
neurale, puis les bourrelets se soudent l'un à l'autre, formant le tube
neural. C'est l'ébauche du système nerveux de l'animal (cerveau
et moelle épinière). La neurulation s'accomplit également
en une journée environ. Au stade suivant, appelé bourgeon caudal,
l'embryon s'allonge, surtout dans la région postérieure qui va former
une queue. C'est alors que débute la segmentation du mésoderme,
visible sous le revêtement ectodermique. Apparaissent alors les ébauches
des vertèbres. C'est aussi au stade du bourgeon caudal qu'apparaissent
les ébauches de l'il et des branchies, que le cur commence
à battre et le sang à circuler (2). L'embryon va éclore,
quatre jours après la ponte, sous la forme d'un têtard à branchies
externes... Puis les jeunes têtards éclos seront capables de nager
librement, grâce aux mouvements de leur longue queue. Les branchies deviendront
internes (3). Une fois les pattes postérieures apparues, le têtard
continuera à utiliser sa queue pour se déplacer (4). Puis
les pattes de devant (5) jusqu'à la dernière étape
de la métamorphose : la queue régressera, l'animal aura l'apparence
d'une petite grenouille. Les branchies disparaîtront et les poumons se développeront,
la respiration deviendra aérienne et la grenouille sortira de l'eau (6). La
larve qui trahit la parenté du parasite Preuves
à conviction, sous les yeux, de l'évolution Les
femelles de Lernaeocera branchalis parasitent les branchies de poissons
tels que flets, plies, morues. Elles ont l'étrange aspect de sacs rouge-sang
dont la taille atteint environ 4 mm. Elles portent derrière elles de fin
cordons d'oeufs enroulés et, en prolongement de leur partie antérieure,
des appendices leur servant à s'attacher au poisson dont elles extraient
le sang. Dans quel groupe classer ces bizarres formes adultes ? C'est en observant
leur stade larvaire que ces femelles furent attribuées aux crustacés
copépodes (Siphonostomatoida). En effet, les larves de L. branchialis
sont du type Nauplius si caractéristique des copépodes.
Femelle
de Lernaeocera branchialis |
Cyclope, crustacé copépode | |
Une
bonne partie des groupes de crustacés ont des larves de type nauplius.
Cependant, ce qui est remarquable dans cet exemple est d'avoir pu retrouver, grâce
aux similitudes anatomiques des stades larvaires (ou des jeunes individus), la
parenté phylogénique d'organismes très modifés lors
de leur phase adulte - voire méconnaissables. Le parasitisme, spécialisation
parfois extrême, induisant ce phénomène de différenciation
extrême. *****
«
À mesure que l'embryon se développe, il change de forme, il ne peut
pas faire autrement ; pour passer d'une seule cellule à un cheval adulte,
par exemple, il faut que cette chose change de forme. Si chaque espèce
avait été créée indépendamment et à
partir de rien, on devrait s'attendre à ce que ce changement de forme d'un
zygote à un cheval adulte suive un parcours tout à fait différent
de celui d'un zygote d'une autre espèce, comme celui d'une morue adulte,
dont la forme est très différente de celle du cheval ; il ne devrait
y avoir aucune ressemblance entre les deux (figure 1). Autrement dit, à
partir du début et à chacun des moments du développement
de l'embryon de cheval, on devrait observer quelque chose comme un petit cheval
qui se développe, et, dans le cas de la morue, on devrait voir une petite
morue qui se développe. À part le fait que les deux embryons commencent
leur existence individuelle par une seule cellule, leur développement ne
devrait avoir presque rien en commun puisque les deux formes adultes sont très
différentes.
Deux modèles
du développement des embryons de deux espèces de vertébrés Au
stade zygote, les deux espèces se ressemblent beaucoup dans leur forme
dans les deux cas, l'individu n'est qu'une cellule. En A, le modèle représente
l'" hypothèse " de la création : même très
tôt dans leur développement (au stade 1), les deux embryons sont
presque aussi différents l'un de l'autre que le seront les adultes qu'ils
sont destinés à devenir. En B, le modèle représente
l'évolution: même si les adultes sont très différents,
les embryons qu'ils étaient se ressemblent énormément (aux
stades 1 et 2). Ces ressemblances ne sont pas explicables en termes fonctionnels
puisque les deux embryons se développent dans des conditions très
différentes et deviennent des adultes très différents. |
Or,
le développement des deux embryons a beaucoup de points en commun (figure
ci-dessous). Le plus frappant est probablement le fait que, à un certain
stade de son développement, l'embryon de cheval présente des ébauches
de fentes branchiales, comme chez la morue. Plus tard, ces structures disparaissent
ou se transforment pour donner autre chose. Aux
fins d'illustration seulement, faisons comme s'il y avait deux explications possibles
: la création et l'évolution (en fait, comme nous le verrons plus
loin, ce ne sont pas deux hypothèses du même ordre, elles appartiennent
aux discours de deux univers qui ne peuvent ni se compléter ni se faire
compétition). Dans la première hypothèse, le Créateur
a été capable de créer des formes adultes très différentes
: morues, poules, tortues, chevaux et humains, mais en ce qui concerne leur développement,
il a toujours utilisé le même chemin. Cette uniformité n'était
certainement pas nécessaire : s'il était capable de créer
des formes adultes aussi différentes que des morues et des chevaux, le
Créateur aurait très bien pu créer des parcours de développement
tout aussi différents. De plus, ce chemin n'est sûrement pas le plus
efficace ; en effet, pourquoi faire passer le développement d'un cheval
ou d'un humain par le stade des fentes branchiales, puisque celles-ci ne leur
servent jamais à rien, ni aux embryons, ni aux adultes. C'est un détour
inutile, nuisible, ni efficace ni élégant, et compliqué sans
raison. Dans
la seconde hypothèse, si on interprète les faits d'une manière
raisonnable, on déduit que si les embryons de la morue, du cheval et de
l'humain passent par un stade avec des ébauches de branchies, cela veut
dire qu'ils ont évolué à partir d'un ancêtre commun,
une sorte de poisson disparu. Les ébauches de branchies chez les embryons
des chevaux, des humains et des oies sont une trace de leur histoire commune avec
celle des morues, elles sont une preuve qu'ils ont tous évolué à
partir d'un ancêtre commun qui avait des branchies. Le cheval et la morue
sont deux branches distinctes aujourd'hui, mais si on remonte assez loin dans
le passé, on va trouver qu'ils ont un ancêtre commun, ils sortent
du même tronc, et les caractères qu'ils ont en commun au début
de leur développement embryonnaire sont hérités de cet ancêtre
commun : ils sont une preuve que ces deux espèces ont un ancêtre
commun, qu'elles ont une histoire et que leurs histoires respectives ne sont pas
parallèles ni indépendantes, mais divergentes à partir d'un
point commun. » Extrait
du livre « Le Miroir du Monde » de Cyrille Barrette
Avec son aimable
autorisation Pour
commander l'ouvrage | L'
EMBRYON Comment
l'embryon se forme-t-il ?
Cela dépend. Chez les végétaux,
l'embryon est issu de la reproduction sexuée et de la fécondation
de l'ovule par le grain de pollen. Il est contenu dans la graine. Chez les animaux,
l'embryon est également issu de la reproduction sexuée et de la
rencontre des gamètes mâle et femelle, sauf chez certaines espèces
dites parthénogénétiques. Ces
dernières font l'économie de la reproduction sexuée : l'ovule
se divise sans qu'il y ait eu stimulation par le gamète mâle. Le
recours à la parthénogenèse est dit "facultatif"
chez certaines espèces comme l'abeille (les mâles sont issus de l'ovule
non fécondé, les femelles de l'ovule fécondé), mais
il est permanent chez d'autres (certains charançons par exemple). Dans
ce cas, il y a moins de brassage et de diversité génétiques.
Le développement de l'embryon a longtemps été une énigme
totale, même si Aristote avait déjà fourni des descriptions
étonnantes du développement du poulet. Deux théories se sont
longtemps affrontées: le préformisme,
selon lequel l'adulte était contenu tout entier dans le germe (le développement
n'étant alors conçu que comme un agrandissement progressif d'une
miniature initiale), et l'épigenèse,
selon laquelle les parties de l'organisme se diversifient à partir de structures
simples progressivement élaborées. C'est cette seconde théorie
qui s'imposera, suite aux progrès de la biologie du développement.
L'embryologie, qui jusqu'à la fin de XIXe siècle était une
science essentiellement descriptive, devient expérimentale avec les premiers
travaux de l'embryologiste allemand Wilhelm Roux sur les ufs d'amphibiens.
Ceux-ci sont rapidement suivis, au début de XXe siècle, par les
travaux de l'école de l'Allemand Hans Spemann (prix Nobel de médecine
en 1935). Que
voit-on de l'embryon ?
L'enveloppe ou la coquille des ufs, et leurs dimensions
restreintes, limitent de facto la quantité d'informations qu'il est possible
de glaner à l'il nu. Et ce même si les embryologistes ont,
ces dernières années, découvert un nouvel allié en
la personne du poisson-zèbre Danio rerio, dont l'embryon
est transparent à toutes les étapes de son développement.
Historiquement, il a fallu attendre le XVIIe siècle et l'arrivée
du microscope pour espérer voir l'embryon. Au milieu du XIXe siècle,
les progrès en embryologie ont été dopés par la mise
au point de techniques: la réalisation de coupes de tissus, leur fixation
et leur coloration ont permis de contourner les difficultés imposées
par la durée des processus mis en jeu. Enfin, plusieurs techniques apparues
au XXe siècle ont permis d'observer l'embryon sans avoir à l'extraire
de son environnement. D'où leur intérêt d'un point de vue
médical, car elles sont pratiquées à des moments clés
du développement de l'embryon et surtout, du ftus (ainsi nomme-t-on
l'embryon humain à partir de la huitième semaine de grossesse).
Dans les années cinquante s'est développée l'échographie
obstétricale, qui utilise les vibrations de très haute fréquence
des ultrasons Capables de traverser les tissus, ces derniers sont renvoyés
lorsqu'ils rencontrent la limite d'un organe, des tissus différents ou
la paroi d'un vaisseau sanguin. Il sont alors transformés en signaux électriques,
puis en images. A la fin des années soixante-dix, la technologie d'imagerie
dynamique qui repose aussi sur l'utilisation d'ultrasons - a permis de restituer
en temps réel les éventuels mouvement des structures observées.
Elle est parfois complétée par un examen Doppler qui permet l'étude
des vaisseaux et de la circulation sanguine. Comment
une cellule unique, l'uf, parvient-elle à donner un organisme complet
? En
1995, le prix Nobel de physiologie et médecine fut attribué à
Christiane Nusslein-Volhard, Eric Wieschaus et Edward Lewis
pour leur découvertes concernant "le contrôle génétique
du développement embryonnaire précoce". Les deux premiers nommés
avaient, à la fin des années soixante-dix, identifié chez
la drosophile des gènes impliqués dans l'édification du plan
du corps selon l'axe tête-queue. Et l'on doit au généticien
américain Edward Lewis d'avoir démontré, toujours chez la
drosophile, l'hypothèse d'un contrôle génétique du
développement des segments du corps. Les gènes impliqués,
dits "homéotiques" furent retrouvés dans les années
quatre-vingt chez les mammifères, pourtant très éloignés
de la drosophile d'un point de vue évolutif. Cette étonnante conservation
des gènes régulant la morphogenèse, mise en évidence
notamment par les généticiens Walter Gehring et Denis
Duboule, est l'une des grandes découvertes de la biologie du développement
de ces vingt dernières années. Mais le noyau et ses gènes
ne sont pas seuls à orchestrer le développement de l'embryon. Le
cytoplasme de l'ovocyte est, lui aussi, essentiel. En témoigne la technique
du clonage, qui n'a de chance de succès que si le noyau de cellule somatique
utilisé est transféré dans un cytoplasme d'ovocyte. Chez
de nombreuses espèces comme les insectes ou les amphibiens, les gènes
du développement répondent à certaines substances présentes
dans ce cytoplasme. La concentration de chacune d'entre elles peut varier suivant
ce que l'on appelle un gradient de concentration cytoplasmique. A une concentration
donnée correspond un type de différenciation précis, d'où
le qualificatif de "morphogènes" attribué à ces
substances. Il existe de nombreux exemples de gradients de morphogènes
jouant un rôle important dans la définition des différentes
régions de l'embryon. Lors de l'embryogenèse, après une phase
de multiplication des cellules, celles-ci se mettent en mouvement et s'organisent:
c'est la morphogenèse. Des interaction se produisent entre elles d'une
part, entre elles et le matériel extracellulaire d'autre part. Ces interactions
ont pour effet de guider la différenciation cellulaire qui aboutit à
la formation des tissus des organes. L'embryon
humain présente-t-il des vestiges d'animaux primitifs ?
Tous les embryons de vertébrés présentent
de grandes ressemblances au tout début de leur développement: c'est
cette constatation fondamentale qui a fait dire en 1826 à l'embryologiste
allemand Karl Ernst von Baer que « l'ontogenèse
résume la phylogenèse ». Cette règle
devait être étayée et popularisée, quelques années
plus tard, par le physiologiste allemand Ernst Haeckel. Si cette assertion
est toujours controversée, il n'en demeure pas moins vrai que, durant l'embryogenèse,
on voit en partie ce qu'était un embryon primitif. Par exemple, l'embryon
humain, comme tous les vertébrés, présente une queue
à un moment donné de son développement ; tous les vertébrés
passent aussi par un stade où, à l'égal des poissons cartilagineux
(requins), ils possèdent des fentes branchiales. Celles-ci disparaissent
ultérieurement chez les mammifères.
|
Photos
optiques d'embryon humain à 37 jours. Observer la queue (A) et les fentes
branchiales (B) | | D'un
point de vue plus général, on peut dégager plusieurs grandes
phases communes à tous les animaux pluricellulaires. La première
d'entre elles est la segmentation. L'uf se
divise rapidement pour donner une structure semblable à une petite mûre
(la morula), composé de cellules appelées blastomères. Cette
morula se creuse ensuite d'une cavité, et dès lors porte le nom
de blastula. La deuxième phase majeure, la gastrulation,
s'engage peu après. Elle consiste en des mouvements de cellules aboutissant
à la délimitation des trois couches cellulaires, les feuillets embryonnaires,
qui engendreront chacune des organes bien précis. L'ectoderme donnera par
exemple le système nerveux et la peau, le mésoderme, les os et les
muscles, et l'endoderme, les viscères (notons que certains animaux comme
les cnidaires n'ont que deux couches cellulaires). C'est après la gastrulation
que s'ébauche le tube neural à l'origine du système nerveux.
A cette étape dite de neurulation succède,
pour finir, l'organogenèse. Comment
l'embryon se nourrit-il ? Il
puise les nutriments nécessaires dans les réserves de l'uf
(le vitellus) ou dans son environnement, selon que l'espèce est ovovivipare
ou vivipare. Chez les ovipares, tout le développement de l'embryon se déroule
dans l'uf - au sens littéral - après qu'il a été
pondu. Certains de ces ufs, comme ceux des échinodermes (oursins
par exemple), sont pauvres en réserves nutritives. D'autres (les ufs
d'amphibiens) n'en sont que moyennement pourvus. Mais, dans les deux cas, l'embryon
atteint rapidement un stade larvaire où il est capable de se nourrir seul.
En revanche, dans les ufs riche en vitellus (les ufs d'oiseau), l'embryon
atteint un stade de développement avancé au sein même de l'uf.
Un cas se figure que l'on retrouve chez ces étranges mammifères
pondeurs que sont les monotrèmes (ornithorynques et échidnés).
Chez les animaux ovovivipares (vipères par exemple), les ufs éclosent
à l'intérieur de la mère. Celle-ci libère donc des
petits vivants, mais qui n'auront entretenu avec elle aucune relation trophique.
En revanche, chez les vivipares, l'embryon se développe à l'intérieur
de la mère et établit avec elle une relation trophique via le placenta.
Ce dernier joue aussi un rôle de filtre sélectif vis-à-vis
de divers virus ou bactéries, protégeant ainsi l'embryon de nombreuses
infections. Toutefois, certains virus, parasites et médicaments peuvent
traverser la barrière placentaire et provoquer des atteintes ftales.
La relation mère-embryon se développe, pour l'essentiel, hors de
l'utérus. Accrochés aux mamelles de leur mère, ils se développent
dans la poche ventrale caractéristique de ces animaux. Pourquoi
l'embryon des mammifères n'est-il pas rejeté par le système
immunitaire maternel ? Puisque son génome
est constitué du "mélange" (brassage) des gènes
de ses parents, l'embryon de mammifère est donc un individu génétiquement
différent de sa mère; le système immunitaire qu'il exprime
à la surface de ses cellules est par conséquent différent
lui aussi de celui de sa mère et devrait être reconnu par le système
immunitaire de celle-ci comme "étranger"
Pourtant, ce n'est
pas le cas. La découverte de cette tolérance remonte aux années
cinquante. Elle est due à Sir Peter Medawar, qui venait de démontrer
l'origine immunologique du rejet de greffe. Ayant énoncé ces lois
de transplantation, il réalisa que l'embryon les transgressait. Les immunologistes
ont, depuis, découvert un système d'une extraordinaire complexité
à l'interface utéro-placentaire. Il semblerait que l'immunité
de la mère soit bloquée localement, au niveau du placenta, par la
sécrétion de molécules de signalisation comme les cytokines.
Ainsi, une femelle souris activement immunisée contre un mâle, rejette
violemment une greffe de tissu provenant de ce dernier, mais peut poursuivre une
grossesse normale si ce même mâle la féconde. Au contraire
de la grossesse, caractérisée par un "musellement" des
réactions immunitaires, l'implantation de l'embryon dans l'utérus
est, elle, un phénomène inflammatoire. Ce dernier se déclenche
après que certaines des cellules immunitaires de la mère, les macrophages,
ont résorbé tous les spermatozoïdes morts présents dans
la cavité utérine. La sécrétion de molécules
inflammatoires est absolument essentielle à la grossesse car, sans elles,
l'implantation de l'embryon ne peut se réaliser correctement. Comment
obtenir un embryon in vitro ? Au XXe siècle,
des techniques de procréation médicalement assistée, dont
certaines conduisent à créer des embryons in vitro, ont été
développées chez l'homme et chez l'animal d'élevage. Dans
la fécondation in vitro (FIV), utilisée pour la première
fois avec succès chez l'humain en 1978, les ovocytes sont prélevés
dans les ovaires de la femme et mis au contact de spermatozoïdes in vitro.
Deux jours après la fécondation, l'embryon est transféré
dans l'utérus. Il est aussi possible de développer l'embryon in
vitro jusqu'au stade blastocyste (sixième jour) avant de l'implanter. La
technique d'injection intracytoplasmique du sperme (ou ICSI) est utilisée
dans les cas où les spermatozoïdes sont peu nombreux ou incapables
de fertiliser l'ovocyte. Sous microscope, le gamète mâle est alors
introduit dans l'ovocyte. La création d'embryons in vitro a permis
la mise au point du diagnostic préimplantatoire, grâce auquel on
peut dépister certaines maladies génétiques et, ainsi, éviter
d'implanter un embryon atteint. Elle a aussi permis le développement de
la transgenèse animale (à partir de 1980 chez la souris), qui vise
à transférer un gène donné à des cellules ou
à un organisme, ou, à l'inverse, à les en priver (organismes
Knockout). C'est, pour les biologistes, un précieux outil de recherche
fondamentale et appliquée. Chez la souris, le rat ou le lapin, le gène
est introduit dans l'embryon au stade d'une cellule, après la fécondation.
Chez les ruminants, il peut être inséré dans une cellule somatique.
Le noyau de celle-ci est ensuite transféré dans un ovocyte énucléé,
qui se divise et donne un embryon clone de l'animal dont provient la cellule manipulée.
Cette technique par transfert de noyau rencontra son premier succès chez
un mammifère trente ans après sa réalisation chez les crapauds
xénopes : ce fut, en 1997, la naissance de la brebis Dolly. Qu'est-ce
qu'une cellule souche embryonnaire ? Toute
cellule d'un embryon au stade 2 ou 4 cellules est capable, à elle seule,
de reformer un embryon : elle est totipotente. Puis
cette capacité disparaît. Les cellules embryonnaires prélevées
à un stade ultérieur (morula ou blastula) peuvent, quand à
elles, se différencier en n'importe quelle cellule de n'importe quel organe
: elles sont pluripotentes. Celles que l'on appelle
"cellules souches adultes" (présentes dans certains organes)
sont, elles, multipotentes, car elles ne peuvent
se différencier qu'en quelques types cellulaires. Les cellules souches
(tant embryonnaires qu'adultes) représentent un grand espoir pour la réparation
d'organes, mais les techniques de différenciation sont encore mal maîtrisées.
Les deux systèmes présentent des avantages potentiels et des défauts
distincts - par exemple le potentiel tumorigène des cellules souche embryonnaires,
ou la difficulté de prélèvement des cellules souches adultes
dans certains organes. Par ailleurs, l'usage de cellules différenciées
provenant de cellules souche issues d'embryons surnuméraires (cellule souche
dont l'obtention est, pour l'instant, interdite dans certains pays, et jusqu'à
il y a peu aussi en France) s'accompagnerait des mêmes risques de rejet
que les greffes classiques. Le clonage thérapeutique,
dans lequel un noyau cellulaire (ou l'ADN) du patient lui-même serait utilisé
pour créer l'embryon source de cellules souches, permettrait de contourner
ce problème. Il est pour l'instant prohibé dans de nombreux pays
pour des raisons d'éthique. Plutôt que d'embryon, certains préfèrent
parler de personne potentielle. Au stade "4 cellules", l'embryon est
en effet capable, dans l'absolu, de donner plusieurs personnes (puisque chacune
de ses cellules a la capacité de donner un nouvel embryon). Mais un embryon
n'a aucun devenir s'il n'est pas implanté dans un utérus, aussi
cette étape constitue-t-elle un seuil important dans la définition
du statut de l'embryon. Les embryons crées, cryo-conservés mais
non utilisés, deviennent des embryons surnuméraires. En France,
comme le prévoit la loi de bioéthique de 1994, ils peuvent servir
à réaliser un autre projet parental pour le même couple, ou
pour un autre couple avec l'accord du couple initial. Si le projet de révision
de cette loi, initialement prévu en 1999 et entamé en 2001, est
adopté, les embryons surnuméraires pourront, avec l'accord du couple,
servir aussi à la recherche... La décision vient de tomber ces derniers
jours. Mener des recherches sur l'embryon permettrait d'améliorer
les techniques de procréation médicalement assistée, qui
sont jusqu'ici peu efficaces. D'un point de vue plus fondamental, cela permettrait
aussi de mieux comprendre ce qui se passe au tout début du développement
de l'embryon humain. Le débat, nécessaire, est perturbé par
la crainte que ne soit un jour réalisé chez l'homme du clonage reproductif.
Outre le fait que la technique est pour l'instant extrêmement mal maîtrisée
chez l'animal et dangereuse pour la santé des enfants qui naîtraient,
il peut être envisagé de créer des structures de régulation
qui empêcheraient les dérives de ces techniques, comme cela se fait
en Grande Bretagne (Human Fertilisation & Embryology Authority). La tendance
de la plupart des pays est en effet, aujourd'hui, de ne pas laisser ce type d'activités
de recherche en dehors de tout contrôle. Rafael
Terrón Sources
: mensuel La Recherche Voir
aussi réf. articles divers et autres ouvrages: Lecture
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