Bon, je ne vais pas reprendre dans le détail tout ce que tu dis, on va essayer d’être concis et concret.
Premièrement, le problème ne se résume pas à la biologie évolutive, ni même à la biologie tout. On pourrait parler longuement de physique par exemple, et voir à quel point la défense du matérialisme amène certains à nier des faits pourtant établis.
Petit exemple, il est démontré qu’avant observation, donc avant réduction du paquet d’ondes, un système quantique se résume à une
onde de probabilité, ce qui n’a rien de matériel et est tout à fait abstrait.
Pourtant, certains persistent à soutenir que la matière existe en soi, qu’elle a une existence objective. J’aimerais qu’ils m’expliquent ce que veut dire
matériel pour eux, étant donné que l’existence concrète de la matière nécessite un observateur la mesurant.
Autre exemple, la non-séparabilité
démontre qu’il existe une causalité globale dans l’univers, sans transport d’énergie, et « hors » espace-temps. Il existe donc
de facto un autre niveau de réalité « hors » de l’espace et du temps, mais il est très difficile de faire admettre cela à un certain nombre de personnes, y compris des scientifiques professionnels…
Ce sont ici deux exemple illustrant qu’il existe des
faits qui s’accordent bien plus avec une philosophie spiritualiste qu’avec une philosophie matérialiste, laquelle devrait en toute logique et en toute objectivité trouver pour le moins inconfortable que la matière soit fondamentalement abstraite, et que le réel ne se résume pas à l’univers physique spatio-temporel.
Bref, je dis tout ça pour te donner des exemples de ce que peuvent avoir à se raconter science et spiritualité.
Sur l’évolution, je te donne donc quelques pistes donnant matière à réflexion :
1. La convergence évolutionniste, concept développé par Conway-Morris, est le fait que des organes ou des caractères analogues sont apparus indépendamment dans des lignées différentes, organes ou caractères que l’ancêtre commun de ces lignées ne possédait pas.
On se demande en effet comment il se fait que certaines araignées, le calamar et la méduse possède le même type d’yeux que les vertébrés (l’œil caméra et sa structure si spécifique avec le cristallin, la rétine et l’iris), sachant que leur (lointain) ancêtre commun n’en possédait pas, qu’il existe d’autres types d’yeux (l’œil à facette des insectes par exemple), que la méduse n’a pas de cerveau, que les arthropodes possèdent habituellement des yeux incapables de faire des mises au point, et enfin que de tels yeux semblent bien trop perfectionnés pour l’usage que peut en faire le Strombus qui est un… escargot des mers.
Ce qui est tout à fait contradictoire avec la TSE, c’est la multiplication des apparitions d’un œil perfectionné (avec cristallin, je reprécise) ayant la même structure que la nôtre, dans des lignées bien trop primitives pour avoir besoin de quelque chose d’aussi perfectionné.
Tout se passe exactement comme si « quelque chose » dans la nature incitait la structure « œil de vertébré » à se manifester, même là où elle ne semble pas nécessaire, dans des phylums où il existe des ancêtres pourvu d’yeux différents donnant toute satisfaction.
Il n’y a pas que l’œil bien-sûr : la viviparité est elle aussi apparue
indépendamment des centaines de fois (et peut-être plus) chez différentes espèces de poissons, de serpents, d’amphibiens, de scorpions, de coléoptères et… de pucerons.
Idem pour l’endothermie qu’on retrouve chez certains insectes.
Autres exemples : les taupes et les rats taupes ont convergé vers les mêmes formes et les mêmes adaptations sur tous les continents. 150 genres différents ont convergés vers des solutions identiques à travers le monde. C’est d’autant plus intéressant que parmi ces 150 genres se trouvent des taupes marsupiales dont l’ancêtre commun avec les taupes européennes ou américaines remonte à plus de 70 millions d’années et n’était, bien-sûr, pas une taupe…
Alors tu vas peut-être me répondre que c’est simplement l’adaptation qui a provoqué, dans des conditions identiques, des résultats identiques. Mais alors dans ce cas, « les routes de l’évolution sont nombreuses mais les destinations sont limitées » comme le dit Conway-Morris. Si dans des conditions identiques, les mêmes solutions apparaissent partout et toujours, comment peut-on continuer à prétendre que l’évolution est imprédictible et qu’elle est dominée par la contingence ?
Je préfèrerai que l’on se penche sur ce que Conway-Morris appelle l’ « attracteur étrange ». On prend une formule mathématique permettant de faire évoluer un système en le faisant passer d’un point à un autre. A court ou à moyen terme, l’évolution de ce système est totalement désordonnée, et toute prédiction est impossible. Mais dans le très long terme, son évolution converge vers une structure particulière.
Si l’on dessine la succession des points produite par la formule mathématique, on obtient de très jolis dessins, comme des ailes de papillon ou des cristaux de neige. Et encore mieux, le même résultat final peut être atteint en partant de toute une série de points différents.
La réalisation de structures très complexes comme l’œil dans des lignées différentes, et plus encore chez des organismes qui semblent ne pas en avoir besoin, fait dire à Conway-Morris qu’une nouvelle biologie est nécessaire et qu’elle à un niveau plus profond que l’actuelle pour comprendre comment l’évolution peut naviguer vers ces fameuses formes stables qui pourraient être prédéterminées depuis le Big Bang.
Tu devrais lire son dernier livre (« Life’s Solution ») ; Conway-Morris y rapporte des centaines d’exemples de convergence de ce type. A la fin le livre comprend non seulement un index général, mais aussi un index des convergences qui contient plus de 400 entrées, et qui est loin d’épuiser le sujet.
Tout ça, ce sont des caractères qui, selon la TSE, n’avaient qu’une infinitésimale probabilité d’apparaître
une fois, ce qui lui fait dire (à la TSE) que si l’on recommençait le processus, du fait de cette faible probabilité, on obtiendrait des résultats complètement différents, et donc que les espèces et organes existant ne réapparaitraient pas.
Or tous les exemples que j’évoque montrent exactement le contraire.
2. Selon la TSE, la bipédie est apparue parce que des mutations aléatoires favorisant la bipédie (évidemment je résume) furent sélectionnées dans des populations de grands singes
vivant dans la savane (à l’Est de la vallée Rift Africain).
La TSE est très claire à ce sujet : jamais ces mutations n’auraient été sélectionnées chez des grands singes vivant dans les arbres, donc jamais la bipédie ne serait apparue, donc la bipédie est le fait du hasard dû à la formation du Rift.
Pas de bol, Anne Dambricourt a montré que c’est le processus de rotation du tube neural qui, en allant « trop loin » lors du développement embryonnaire, provoque la bipédie. En langage scientifique, on appelle cela « la contraction crânio-faciale ».
Il est d’ailleurs fascinant de constater que tous les individus constituant chacune des étapes de l’évolution des hominidés, qu’ils soient actuels ou passés, ont une structure de la base du crâne identique, si l’on prend comme marqueur le « triangle de Dambricourt » (composé du centre de notre mâchoire supérieure (le prosthion), du trou occipital (le basion), et de l’intersection de deux droites dont l’une suit la pente du clivus) : la contraction de la base du crâne des Prosimiens actuels n’a pas changé depuis 60 millions d’années ; même chose pour les petits singes actuels et leurs ancêtres d’il y a 40 millions d’années ; idem pour l’orang-outan, le chimpanzé et le gorille, et leurs ancêtres d’il y a 20 millions d’années.
On voit là (c’est flagrant sur un schéma) l’ « unité de type » que soutiennent les structuralistes, qui demeure stable pendant des millions d’années. Seule évolue la diversité des espèces à l’intérieur d’un type pendant les périodes de stase.
Bref, encore une fois, on peut affirmer que le même phénomène se reproduirait exactement de la même façon si l’évolution devait repartit de zéro.
Là encore, il est indéniable que la TSE est entièrement contredite, à un point tel que, lorsque Arte a voulu diffuser un film exposant cette thèse, Guillaume Lecointre (le « Dawkins Français ») a fait pression sur la chaîne, par journalistes interposés, pour tenter d’empêcher la diffusion de ce film (
http://www.hominides.com/html/actualite ... o-arte.php). Cette histoire est un bel exemple d’obscurantisme darwinien, où certains faits doivent être dissimulés parce qu’ils contredisent le paradigme dominant..
3. On sait que les gènes de régulation peuvent avoir un impact énorme sur les organismes. Le cœur du système, ce sont les kernels (cf travaux de Davidson et Erwin). A cause de leur rôle dans le développement de l’organisme et de leur structure interne, il est impossible de les modifier sans que cela conduise à une catastrophe qui stoppe le développement de l’organisme. De ce fait, certaines parties de ces réseaux de gènes de régulation n’ont probablement pas changé depuis le Cambrien. Certains les considèrent comme un écho biochimique des archétypes expliquant la stabilité des différents plans d’organisation (je passe sur le fait que les explications darwiniennes à ce sujet sont à mourir de rire).
Donc, la question est : comment sont apparus les kernels ?
Effectivement, si le moindre changement dans le cœur de ces réseaux conduit à des organismes non viables, comment ont-ils pu s’engendrer les uns les autres sur des périodes de temps courtes, au moment du Cambrien ?
On retrouve là le fameux problème de l’explosion du Cambrien, parce que l’apparition en 10 ou 20 millions d’années des grands plans d’organisation qui régulent encore les êtres vivants d’aujourd’hui est inexplicable par des mécanismes darwiniens. Or la découverte des kernels ne fait que renforcer ce problème.
Aucune explication basée sur le hasard et la contingence ne peut fournir une explication de l’évolution en termes de changement dans la régulation des programmes génétiques de développement des plans d’organisation, alors que c’est précisément là que se situe l’évolution !
Quoi qu’il en soit, le plus important est le fait que le kernel enferme l’évolution dans une certaine voie et ce quelles que soient les contingences à s’appliquer sur l’organisme.
L’évolution est bien soumise à la contingence (c’est une évidence), mais finalement elle arrive toujours au même résultat sur le long terme, donc l’influence de la contingence sur le résultat final semble être quasiment négligeable
en ce qui concerne les changements d’espèces.Bien évidemment, concernant les micromutations, type adaptation des moustiques au DDT, la contingence retrouve toute sa place. Mais ce sont des adaptations à la marge, et ce qui nous intéresse ici est l’apparition de nouveaux plans d’organisation et de nouvelles espèces. Là, l’influence de la contingence est négligeable.
4. Connais-tu Jerry Fodor (qui est athée) ? C’est un philosophe des sciences qui découpe le darwinisme en rondelles, en commençant par dénoncer la tautologie darwinienne (comme Pierre-Paul Grassé et Rémy Chauvin, qui ne sont pas les premiers venus) : le darwinisme pronostique la survie des survivants… C’est très bien, j’ajouterais à cela que l’eau, ça mouille.
Gould avait tiré le darwinisme de ce mauvais pas en tentant de montrer la légitimité de l’analogie faite par Darwin entre la sélection naturelle et la façon dont agissaient les éleveurs pratiquant la sélection artificielle. Or cette analogie ne tient pas puisque la sélection naturelle est aveugle et sans préméditation, alors que les éleveurs sélectionnent pour des raisons bien précises, déterminées a priori. Fodor parle de la « délicieuse ironie » qu’il y a à voir les adaptationnistes, qui par définition veulent exclure toute intentionnalité des explications en biologie, faire ainsi appel à des métaphores parlant de l’intentionnalité de la nature.
Pour aller plus loin, Fodor va s’appuyer sur Gould lui-même et son fameux concept de pendentif : doit-on dire que les pendentifs existent parce qu’ils étaient nécessaires pour avoir la coupole qui, elle, a été sélectionnée par l’architecte ou que la coupole existe parce que l’architecte voulait des arcs avec des pendentifs ? Bien entendu, dans le cas des objets fabriqués par l’homme, nous savons que la première réponse est la bonne. Mais dans la nature nous dit Fodor, dans une nature où il n’y a pas d’architecte, pas d’intentionnalité, peut-on vraiment trancher ? On retrouve ici exactement l’approche de Chauvin selon laquelle le cheval a été sélectionné… parce qu’il est un cheval, un tout, et non pas à cause de tel ou tel organe spécifique.
Ainsi Fodor se demande si les ours polaires ont été sélectionnés pour leur couleur blanche ou pour les autres caractéristiques qui les adaptent à leur environnement. Selon lui, la théorie darwinienne ne peut pas faire la différence entre les raisons de la sélection d’un caractère A et de la sélection d’un caractère B, quand tous les deux sont présents dans l’animal, ce qui montre que le darwinisme N’EST PAS PREDICTIF.
Citation:
On sait que les darwinistes prétendent que l’adaptationnisme est la meilleure idée qu’on ait jamais eu. Ce serait une bonne plaisanterie si la meilleure idée qu’on ait jamais eu se révélait fausse. L’histoire des sciences est remplie de ce genre de plaisanteries que la nature inflige à nos théories favorites.
Jerry Fodor, « Pourquoi les porcs n’ont pas d’ailes »
Fodor montre comment les pendentifs peuvent être extrêmement présents dans la nature. Et pas seulement des pendentifs « logiques » comme ceux qui sont nécessaires pour soutenir une coupole. Il cite des expériences sur la domestication des renards sauvages, qui permettent de comparer au bout de 40 ans les renards domestiqués avec leurs cousins restés sauvages. On voit qu’ils ont tendance à acquérir des oreilles tombantes, des poils gris, une queue courte et recourbée et des pattes courtes. Or, tous ces caractères tendent aussi à être présents chez la plupart des autres animaux domestiques, chiens, chats, chèvres et vaches. Bien évidemment, il serait absurde de se demander en quoi la queue courte et recourbée des chiens, des chats et des renards est une adaptation à un état domestique.
Ici, la situation est bien pire pour le darwinisme que dans le cas des pendentifs, parce que même s’ils n’ont pas été sélectionnés pour eux-mêmes, ils sont nécessaires pour qu’existe la coupole qui, elle, a été sélectionnée par l’architecte. Mais ici, nous sommes dans un cas équivalent à celui où toutes les cathédrales ayant des coupoles contiendraient aussi au-dessus de leur autel un Christ en croix souriant au lieu d’un Christ souffrant (les Christs en croix souriants sont très très rares). Crois-tu qu’il soit nécessaire d’avoir une statue de Christ souriant pour que puisse être bâtie une coupole ? Crois-tu que la statue du Christ en croix (c’est la vision adaptationniste) sourit chaque fois qu’il voit une coupole ?
Ce que cette expérience montre, c’est que lorsqu’on sélectionne quelque chose, ici la domestication, une série de caractères n’ayant aucun rapport, mais étant néanmoins liés à la caractéristique sélectionnée, vont se retrouver embarqués dans le même bateau, et ce non pas dans une seule espèce mais dans toute une série d’espèces, même phylogénétiquement éloignées les unes des autres, montrant là aussi un phénomène de convergence, très probablement dû à l’existence d’une cohérence générale dans les plans d’organisation ou les archétypes des êtres vivants, ici les mammifères.
Fodor conclut en disant que si la sélection naturelle n’est pas ce qui dirige l’évolution, bien des spéculations vont avoir l’air ridicules. Heureusement pour Dawkins et Dennet, le ridicule ne tue pas.
Bon, j’arrête ici pour le moment, je n’ai pas le temps de continuer, et je le regrette car il y a encore des tas de choses à dire, comme les travaux de Fleury et ceux de Denton, et comme l’intégration des mécanismes quantiques dans les futures modélisations de l’évolution, mais j’ai une vie à vivre aussi.
Je finis simplement en précisant qu’à l’arrivée, le petit monde de la biologie évolutionniste est en plein bouleversement, et qu’il est indéniable que très bientôt, un cadre bien plus global qu’actuellement explicitera l’évolution, et l’influence de la contingence y sera réduite à portion congrue.